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Il fait chaud à Lyon, non ?

Le corps est une enveloppe emmagasinant des souvenirs. Des sensations éphémères qui perdurent dans le temps. Comment penser la science dure à partir d’une réalité empirique ? Comment pourrait-on évaluer de façon sérieuse un phénomène concret, comme le réchauffement climatique, avec des perceptions et sensations ?

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J’ai retracé mon installation à Lyon cet été 2020 en cinq actes. Cinq paroles, cinq conseils et affirmations, donnés par différents individus vis-à-vis de la période caniculaire que l’on traversait. Avec des dits et non dits, ces petites scènes ordinaires et banales activèrent ma mémoire, et ce, pour parvenir à des comparaisons avec d’autres situations similaires vécues dans de diverses villes et pays. Et ainsi, découvrir petit à petit l’impact du réchauffement climatique sur nos manières de faire la ville.
Le récit d’enquête s’ensuit d’une voix narrative et d’une voix off analytique à la première personne. En endossant les rôles de l’anthropologue urbain et du sociologue, j’ai voulu rendre audibles les questionnements et souhaits évoqués pour les années à venir.

Acte 1 : « Mais quelle idée de déménager en plein été ! » (Damien, 31 ans)

Bitume, élément qui prime sur le quartier gare de la Part-Dieu © Gonzales Paola

Ce fut un samedi, le dernier du mois de juin, que je pris le train et le reste de mes affaires pour entreprendre une nouvelle vie. Lunettes de soleil, chapeau de paille, sandales et une grande bouteille d’eau fraîche à la main. On y était. J’étais équipée pour descendre dans le Sud et faire face au pic de chaleur annoncé ce matin à la radio.

C’était une après-midi brûlante et je m’apprêtais à descendre du train. Arrivée à Lyon, je quittai à peine cet environnement d’air artificiel que tout d’un coup, j’ai ressenti les 5 ou 6 °C additionnels par rapport à ce matin.
Une pensée m’échappa, n’aurais-je pas dû attendre l’automne pour déménager ? Je n’avais pas délibérément choisi de faire mes cartons durant le « weekend le plus chaud du mois ». Malgré cela, j’étais confiante d’y résister. 34 °C : j’avais eu ces mêmes conditions météorologiques le week-end dernier au bois de Vincennes.

En traversant le parvis de la gare, le bitume brûlant pénétra mes plantes de pied. Je revins sur ma pensée, « tu avais tenu le coup parce que tu ne portais pas de gros sac à dos de trente litres », je débattais avec moi-même en essayant de me convaincre de l’existence d’autres aléas.
Ce fut effectivement un cumul de facteurs. La fatigue de la veille et du voyage, l’agacement vis-à-vis du chantier du quartier gare, les mouvements de foules rythmés par les départs et arrivées des trains, et enfin, les nombreux arrêts sous les quelques coins ombragés disséminés… Tout cela expliquait pourquoi j’allais mettre plus de 25 minutes pour parcourir moins de 800 mètres à pied.

Arrivée sur la dalle de l’immeuble, essoufflée, je profitai de la fraîcheur fournie par le rez-de-jardin. Jardinières surélevées, susceptibles de faire office d’assise : une partie ombragée à tout moment de la journée. Cet espace a du potentiel, en conclus-je, et effectivement il se révèlera par la suite un lieu idéal pour y pique-niquer.
Dans les jours et semaines suivant mon arrivée, la saison estivale bien entamée, ce rez-de-jardin devint un espace public. Fréquenté par quelques travailleurs des environs en quête de fraîcheur et d’assises confortables à l’ombre pendant leur pause déjeuner. Indubitablement, ces qualités manquaient terriblement au square d’en face, généreux en espace mais manquant d’agréments.

Aménités sur la rue du Lac, quartier Voltaire-Part-Dieu © Gonzales Paola

 

Suite aux observations épisodiques menées en juillet et août 2020, quelques remarques vis-à-vis du comportement des marcheurs en ville l’été.

Durant les jours de forte chaleur, de nombreux stratagèmes sont déployés pour y faire face quand est dehors. Le passant, ou visiteur, doit faire preuve de résilience car il ne connaît pas les lieux. L’environnement lui semblera alors hostile. L’usager, quant à lui, a préalablement identifié les meilleurs endroits pour se réfugier. Ce connaisseur d’espaces n’a pas peur de franchir les frontières public-privé. Ainsi, il privilégiera les espaces semi-publics, petits et intimes, souvent bien entretenus et surtout cachés du regard des autres.

Acte 2 « Nous vivons dans le noir ! » (Florent, 32 ans)

Chiaroscuro © Gonzales Paola

Quand j’habitais à Paris, j’avais de la moquette partout.
Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu trop chaud. Pourtant, le studio avait une exposition Ouest. En revenant dans le Sud, j’ai compris que celle-ci était la pire exposition pendant les jours de grande chaleur. Certes, j’étais sur une grande avenue arborée au cœur du 12ème arrondissement de Paris. Puis, il y avait des multiples espaces verts à proximité immédiate de l’immeuble, dont la coulée verte et le bois de Vincennes.

Le douzième (arrondissement de Paris) et les pentes de la Croix-Rousse à Lyon. Source Google Maps

Avant Paris, j’avais habité à Lyon. Une première fois entre 2009 à 2014 avant de m’y réinstaller définitivement cet été 2020. Mon premier appartement était en plein centre historique. J’adorais cet appartement. Il était exposé plein Nord, mono orienté sur rue, grande hauteur sous plafond. Un ancien immeuble Canut avec un système d’aération provençale. J’ai passé cinq étés là-bas. Pour autant je n’ai pas le souvenir d’avoir souffert pendant les périodes estivales, malgré les aléas des hypercentres, tels que l’îlot de chaleur, les rues étroites et le manque d’espaces verts.

En revanche, les hivers furent rudes.

L’appartement actuel est traversant Est-Ouest. Ma chambre est orientée plein Ouest. Les volets restent fermés côté Est du petit matin jusqu’à environ 16 h. Côté Ouest de 11 h au coucher du soleil.
L’appartement est entièrement dans le noir pendant cinq heures. Entre les deux, c’est le jour et la nuit.

Je me souviendrais toujours de ma première nuit là-bas. Je n’avais pas encore intégré le système précédemment évoqué. De ce fait, j’avais laissé les volets ouverts de ma chambre toute la journée. En seulement quelques heures, la chaleur avait envahi la pièce.
J’ai regretté pendant la nuit.
Le lendemain, j’ai craqué : je suis partie à la recherche d’un ventilateur.

Rustiques et ingénieuses, les stratégies pour maintenir la fraîcheur à l’intérieur d’un appartement sont low tech. Malheureusement, certains immeubles d’habitation sont susceptibles de cumuler trop de défauts de construction, garant de déperditions et cumuls énergétiques. Nul autre choix que le high tech ?

Acte 3 « Il faut que t’achètes un ventilateur avant qu’il y ait une rupture de stock… » (Charlotte, 30 ans)

Presse et canicule (photomontage) © Gonzales Paola

En me dirigeant vers le centre-commercial de la Part-Dieu, je me remémorai le parcours deux jours plus tôt. Sans fardeau, il était clairement plus facile de franchir ce bitume ardent.
En franchissant les portes d’entrée, je me senti tout d’un coup plus légère. La température avait sûrement perdu 6 ou 7 °C pour rafraîchir l’air en intérieur. Devrais-je considérer l’environnement climatisé comme le seul paradis sur terre ?

Au niveau du sas d’entrée, juste avant les premiers magasins, j’entraperçus des bandes d’adolescents se réfugiant de la chaleur oppressante à coups d’allers-retours. J’aurais fait pareil si j’avais été à leur place.
Devant l’entrée du supermarché, j’eus l’impression de perdre encore 2 ou 3 °C supplémentaires. En arrivant, j’ai regretté l’oubli d’une veste.

En l’espace de quelques secondes je repérai le rayon des ventilateurs. Il suffisait de suivre les gens. Nous étions au moins quatre face au stock. L’un des clients faisait les cent pas pour balayer l’offre. Je ne me souvenais plus qu’il y avait un rayon dédié au seul appareil, et ce, étalé sur huit mètres, calé sur deux allées.

Le stock débordait avec de multiples options. Néanmoins, je ne souhaitai pas m’attarder dans ce rayon. Je pris le plus petit en me disant qu’il serait le moins énergivore et par conséquent meilleur pour la planète et mes factures d’électricité. La dame qui était à côté de moi, entre trente et quarante ans, avait sollicité l’aide d’un employé pour choisir le meilleur produit adapté à ses besoins. Y a-t-il une réelle différence ? me demandai-je cyniquement. Elle avait des enfants de bas âge, d’où le doute entre un ventilateur à colonne (donc plus sécurisé) et un ventilateur industriel à poser par terre (plus puissant, ok).

Finalement, elle se décida pour le deuxième après avoir été rassurée par le vendeur. Parti chercher le produit, il revint rapidement avec une mauvaise nouvelle : il n’y avait plus de stock en réserve, tout avait été déployé sur le rayon.

Mince alors !

Étalage © Gonzales Paola

Il y a effectivement plusieurs types de ventilateurs. Pour faire un choix aiguisé, de nombreux paramètres semblent être pris en compte tels que la surface de la pièce, les options brumisateur et déshumidificateur, la puissance ou encore le niveau sonore… L’intriguant dans cette affaire restent les logiques de consommation : pourquoi une rupture de stock chaque année ? Le consommateur fait-il des achats pour équiper progressivement toutes les pièces de vie d’un logement ?

Acte 4 « Depuis quatre ans… » (Nicolas, 29 ans)

Ce fut un déclic auprès de connaissances et d’inconnus. Amis d’enfance, anciens camarades de classe, commerçants, restaurateurs… chacun eut son mot à dire : oui, il faisait vraiment chaud, et cela s’empirait.

Quant à moi, la première fois que j’avais dépassé les 40 °C ce fut en Andalousie. La chaleur rythmait le quotidien des habitants et défiait mes capacités à faire du tourisme. Les patios et jardins centenaires du Palais de l’Alhambra avaient soulagé mon périple. J’étais restée pas moins de cinq heures sur place.

Ce site était une valeur d’exemple en termes d’efficience énergétique, je l’ai découvert plus tard dans ma vie professionnelle d’urbaniste.

À gauche, image thermographique du palais des lions, source projet SONBIO / À droite, photographie de la fontaine du palais des lions, source Wikipedia.

 

Retrouver une ingénierie pareille à l’échelle d’une métropole, cela doit être mission impossible. Toutefois, certains espaces, passant souvent inaperçus, se prêtent bien au jeu.
Je ne pensais pas trouver un lieu pareil ici à quelques pas du quartier d’affaires lyonnais. J’avais vu quelques espaces similaires lors de voyages. À Avignon, c’était la demeure du cinéma Utopia à proximité du Palais des Papes. À Paris, je pensais tout de suite à la rue Sainte-Marthe en plein cœur du quartier chinois. À Lyon, c’était sur le Haut-des-Pentes de la Croix-Rousse.

J’aurais pu y passer seulement le temps d’une journée mais ces lieux restèrent gravés dans ma mémoire. Les coulisses étaient toujours les mêmes, une rue étroite et banale, puis soudain, le coup de théâtre : la fraîcheur.

J’y retrouvai le même principe sur ce nouvel espace. Il y avait des terrasses et jardinières végétalisées déployées de partout. Et ce, à l’initiative de la mairie et des restaurateurs. Deux entités qui ne cessaient de se confronter à tous niveaux tels que le stationnement et les places de livraison, la vie nocturne, les nuisances liées au chantier… Elles avaient été en mesure de trouver un terrain d’entente lors du réaménagement de la place. Pour la mairie, c’était une économie pour l’installation de bacs supplémentaires et une dépense de gestion et d’entretien en moins. Pour les restaurateurs, c’était un investissement pouvant être amorti assez rapidement. L’embellissement de la place captait et séduisait le chaland, adepte des sorties dans l’hypercentre et sur les quais du Rhône, pouvant cette fois-ci se désaltérer une fois pour toutes.

Ce lieu aurait pu passer inaperçu. Comme évoquée ci-dessus, je ne connaissais pas cette place avant. Ou peut-être que je ne la reconnaissais plus.

Au cœur du 3ème, place Voltaire. En haut, mai 2008. En bas, août 2020. Source Google Maps. © Gonzales Paola

Les initiatives de verdissement peuvent transformer un espace afin qu’il devienne un lieu vivant et accueillant. Plusieurs notions et postures gravitent autour de ces métamorphoses : acupuncture urbaine, placemaking, urbanisme tactique, guerrilla gardenning, agriculture urbaine, etc. Sont-elles en mesure de concilier développement urbain et bien-être ?

Acte 5 « C’est vrai, c’est une ville minérale ! » (Laurie, 30 ans)

Quand nous changeons de ville, il est systématique de faire des assimilations ou des projections d’expériences et d’environnements où l’on a vécu :

  1. Lyon, printemps 2009

Quand je suis arrivée à Lyon, j’avais ressenti de façon brutale le basculement d’un climat tempéré désertique d’Amérique du Sud au climat semi-continental aux influences méditerranéenes, dont je n’avais eu qu’un bref aperçu lors des cours de géographie au Lycée Franco-Péruvien. Bien qu’elle soit traversée par le Rhône et la Saône, le climat lyonnais me semblait plus sec en comparaison à ma ville natale Lima. Quelles que soient les conditions météorologiques, en automne ou au printemps, saisons où les taux d’humidité sont les plus importants à Lyon, ou bien au prélude d’orages estivaux, où les taux d’humidité atteignent des pics de 80 %. Le climat lyonnais m’apparaît sec en comparaison aux taux d’humidité exorbitants atteints à Lima, la seule capitale côtière d’Amérique donnant sur l’océan Pacifique.

  1. Paris, automne 2014

Quand j’avais quitté Lyon pour Paris en 2014, il y a six ans déjà, je fus frappée par la nostalgie. Le climat m’apparaissait plus humide, plus doux, le ciel gris… Ce ciel gris je l’assimilais aux rudes hivers de ma ville d’enfance « Lima la grise ». Pourtant, ce processus de réminiscence aurait dû se faire avec la ville que je venais de quitter, c’est-dire, Lyon.

C’était plus récent, plus frais dans ma mémoire corporelle.

J’aurai dû retrouver, à un certain degré, le même ressenti qu’à Lyon. C’était quand même la porte à côté, pas plus de 450 km entre les deux. De surcroit, leurs climats étaient de type semi-continental avec des influences maritimes : la mer était à 200 km de l’une et à 300 km de l’autre. Y avait-il un tel écart entre les climats du Nord et du Sud de la France ?

  1. Lyon, été 2020

1 °C additionnel à l’échelle planétaire est-il réellement en mesure d’accentuer le contraste entre deux métropoles d’un même pays ? Comment anticiper les villes susceptibles d’en souffrir le plus ?

Lecture de l’été © Gonzales Paola

Sous ma loggia, censé m’abriter de cette agaçante chaleur, je lisais le dernier numéro de la revue Urbanisme. Jamais un sujet de lecture n’a autant stimulé mon inconscient. J’eus plus chaud encore par réflexe pavlovien après lecture des premiers paragraphes. Malgré les effets indésirables, cet ouvrage éclaircit des doutes prégnants.

Eau, verdure, couleur blanche, espaces tampons, matériaux à forte inertie thermique comme la pierre ou la terre crue, capables de réchauffer et refroidir lentement : les modalités pour faire face à la chaleur grandissante étaient multiples et à coûts variables. Et parmi ces choix, le verdissement, est à ce jour, le plus rapide, le plus léger et le moins cher à déployer.

D’où l’intérêt de verdir les villes pour faire face aux degrés additionnels déjà subis et à subir dans les années à venir.

Durant la période préélectorale, de septembre à mars, les débats se sont multipliés et la presse rédigea des tribunes dédiées à l’urbanisme et à la nature en ville ainsi qu’au bien-être. C’était inédit. Pourquoi l’émergence d’une « vague verte » au cours de ces dernières municipales ? Pourquoi cela a autant séduit les candidats, de toute couleur politique, pour en arriver à des promesses de campagne ? Voir, à ce que cela devienne même l’épine dorsale du programme des vainqueurs sur les six ans à venir ?

Promesses, sources presse variées

Était-ce une simple coïncidence ? Ou bien un signe de l’urgence ?

Sonnette d’alarme au cœur du 3ème © Gonzales Paola

 

Note / Bibliographie :

Notes

 

Projet SONBIO : étude faite par l’Université de Grenade et l’Institut de Certification Énergétique (Itcea+) portant sur la gestion du patrimoine du Site de l’Alhambra et du Generalife visant à améliorer les capacités d’accueil des touristes à l’issue du réchauffement climatique

 

La station balnéaire de Honfleur (Calvados) est à 185 km de Paris

 

La plage de la Digue à Saint-Chamas (Bouches-du-Rhône) est à 297 km de Lyon

 

« Lighter, cheaper and quicker » credo de l’agence américaine Project for Public Spaces pour définir l’urbanisme tactique

 

Bibliographie

Atelier d’urbanisme Parisien, Etude, Juin 2020. « Espace publics à végétaliser à Paris ».

Bénédicte Weiss, Revue Alternatives économique, 24/06/2019. « Verdir les villes : la solution pour faire baisser la température ! ».

Florent Deliglia, Presse Lyon Capitale, 19/03/2019. « 436 hectares d’espaces verts à Lyon : pas de quoi pavoiser ». Éditeur, Lyon Capital Editions

Grand Lyon Métropole, 2016. « Charte de l’arbre ». Editeur, blog développement durable de la Métropole de Lyon

 

Auteure

Paola Gonzales Jara est urbaniste à Lyon au sein de l’agence parisienne Repérage Urbain, spécialisée en sociologie et concertation. Elle co-fondatrice de l’atelier incipit, groupe de recherche-action autour de l’outil récit fictionnel dans le cadre d’élaboration de projets d’architecture, d’urbanisme et de paysage.

Aujourd’hui, elle s’intéresse aux processus de transition écologique dans les territoires métropolitains et aux démarches de placemaking.

Pour référencer cet article :

Paola Gonzales Jara, Il fait chaud à Lyon, non ?, Openfield numéro 16, Janvier 2021