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Paysages et moissons à grande vitesse

Marseille Saint-Charles : 18 h 22. Les derniers voyageurs pressent le pas pour embarquer dans le TGV à destination de Paris. Encore 6 minutes avant le départ !
Le chef de bord fait une annonce :
« Nous invitons les personnes venues accompagner des passagers à descendre. Départ imminent ! »
Les « au revoir » se font maintenant derrière la vitre entre ceux qui partent et ceux qui restent.

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Nouvelle annonce :
« Vous êtes à bord du TGV N° 6138. Je rappelle que ce TGV est sans arrêt jusqu’à Paris. Heure d’arrivée : 21 h 31. Le TGV va partir. Attention à la fermeture des portes ».
 
Un coup de sifflet retentit sur le quai. La plus longue aiguille de l’horloge vient de frôler l’avant-dernière division qui précède la demie. À 18 h 28 précises, le TGV quitte la cité phocéenne. Dans 3 h 3, il « déversera » ses 1000 passagers sur un des quais de la gare de Lyon après avoir parcouru plus de 780 km.
 
Nous commençons à prendre de la vitesse après être sortis d’un long souterrain (de près de 8 km aux dires du responsable de bord !) et avoir passé un pont à hauteur des Pennes-Mirabeau.
Nous traversons la gare d’Aix-en-Provence moins de 15 minutes après notre départ.
Nous roulons à présent sur le superbe viaduc en courbe de Ventabren qui franchit l’autoroute A8. J’aperçois la ville où Paul Cézanne trouva son inspiration pour réaliser sa toile « La Montagne Sainte-Victoire ».
puis nous passons sur la petite rivière Touloubre et sous le tunnel de Vernègues, dont le
 
temple romain est peu connu. Alors que nous devons rouler maintenant à la vitesse maximale, nous enjambons 3 fois la Durance en moins de 5 minutes grâce aux viaducs d’Orgon, de Cheval Blanc et de Cavaillon, tandis que la montagne du Luberon se détache du reste du paysage. Faute de vent, des éoliennes installées sur le plateau du Vaucluse font une pause ! Nous apercevons la ville d’Avignon, toute proche, alors que nous avons passé sa gare à vive allure et franchi le Rhône. C’est là que ce dernier reçoit les eaux de la Durance qui sont nées de la fonte des névés, formés durant l’hiver dans les Alpes du Sud.
Les bâtisses d’Orange se discernent bien mais il n’est pas possible de voir son théâtre antique, ni vraiment le Mont Ventoux, en partie coiffé par un petit stratus. Le vignoble des côtes-du-rhône n’est pas loin avec ses vins de renommée internationale : Gigondas, Vacqueyras.
À Mornas, un viaduc nous fait passer sur le Rhône que nous refranchissons presque aussitôt, tandis que nous apercevons sur la gauche la voie ferrée classique dite du PLM (Paris Lyon Méditerranée : nom de la Compagnie privée qui exploitait le réseau Sud-Est).
Nous longeons, quelques minutes plus tard, le complexe nucléaire du Tricastin. De la fumée blanche sort d’une cheminée. Elle paraît vouloir prendre son temps avant de s’élever dans l’atmosphère !
Nous passons à pleine vitesse sur deux viaducs : celui du canal de Donzère et celui de l’autoroute A7, autoroute que nous suivons ensuite sur une vingtaine de kilomètres. Nous dépassons des dizaines de voitures qui, malgré leurs 130 km/h théoriques comparés à nos 320 km/h effectifs, semblent rouler à une vitesse très modérée. La coexistence entre le trafic des automobiles et celui des poids lourds ne semble pas très facile, ces derniers étant de plus en plus présents sur cet important axe nord-sud. Nous prenons un peu d’altitude par rapport au défilé de Donzère dont les falaises blanches de calcaire enserrent le Rhône et qui marque une frontière climatique. C’est souvent en aval de ce défilé que le mistral déchaîne ses rafales et « nettoie » le ciel du Sud.
Nous laissons à l’ouest Montélimar et nous nous engouffrons quelques minutes plus tard dans le tunnel construit sous le col de Tartaiguille pour rouler ensuite sur le viaduc qui franchit la Grenette. Toujours à l’ouest, la chaîne du Coiron domine, du haut de ses 700 mètres, le Rhône, dont le cours vient buter sur le barrage de Rochemaure. Un autre viaduc nous permet de franchir la Drôme et la ligne de chemin de fer Livron-Briançon que j’emprunterai après-demain. Le donjon du château de Crest qui domine la cité semble toujours veiller sur elle. Je devine les contours du Parc naturel régional du Vercors, véritable forteresse avancée de la chaîne des Alpes.
 
Nous traversons sans même ralentir la gare TGV de Valence et nous croisons un TGV au carénage étincelant qui file vers le Sud. Plein Ouest, le soleil a amorcé sa laborieuse descente, projetant son éblouissante lumière contre les baies vitrées.
Nous passons au-dessus de la voie ferrée qui relie Valence à Bourg-de-Péage puis au-dessus d’une rivière. Je pense que c’est l’Isère qui rejoint le Rhône quelques kilomètres avant Valence. Les rayons du soleil frappent maintenant les contreforts du Vivarais et viennent frôler les vieilles pierres de château de Hauterives juste au moment où nous sortons d’un tunnel. Les habitations sont plus nombreuses maintenant de chaque côté de la ligne.
 
Nous arrivons dans la banlieue lyonnaise et, après une succession d’ouvrages d’art pour franchir successivement la voie ferrée Lyon-Grenoble, l’autoroute A43, la nationale 6, nous traversons à vive allure la gare TGV de Lyon-Saint-Exupéry aéroport.
 
Nous laissons vers l’Ouest Lyon et ses faubourgs. Un très long viaduc nous fait « planer » au-dessus des canaux de Jonage et Miribel, de l’A42 et de la ligne qui permet d’atteindre Ambérieu-en-Bugey, Aix-les-Bains ou Bourg-en-Bresse. Un tunnel nous plonge quelques secondes dans la lumière artificielle avant que retrouvions celle beaucoup plus intense d’hélios.
 
Nous roulons maintenant sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon qui a été mise en service voilà déjà presque 30 ans. Et en 1 heure de trajet, c’est impressionnant de voir le nombre de tunnels, de ponts, de viaducs que nous avons franchis pour parcourir près de 400 km. Après la traversée de la Saône et de la gare de Mâcon-Loché, j’aperçois La Roche Solutré puis le village de Milly-Lamartine. Un peu plus loin, la ligne passe à moins de 3 km de l’abbaye de Cluny, visible un court instant, sur la gauche, lorsqu’on est assis dans le sens de la marche.
Ce sont maintenant des prairies qui se succèdent. Je distingue à moins de 500 m un renard qui regarde passer notre convoi !! Des vaches à la robe beige, devenues indifférentes au roulement des TGV qui circulent, assouvissent leur faim avec l’herbe abondante qui couvre les champs vallonnés. Au sommet des reliefs, on voit ici et là des antennes-relais qui permettent d’assurer les (urgentes) communications entre abonnés du réseau. Des milliers de tournesols se dressent en direction du soleil dont l’énergie est déclinante. Les moissonneuses, qui sont en action sur de grandes parcelles couvertes de blé, soulèvent un épais nuage de poussière. Certains champs moissonnés beaucoup plus tôt ont déjà été ratissés par les agriculteurs. Tandis que notre TGV a passé la gare de Montchanin et qu’il se rapproche du Morvan, je me prends à rêver en fermant les yeux…
 
Des images de vacances merveilleuses apparaissent tout à coup. La bobine qui garde en mémoire nos souvenirs d’enfance se déroule et projette devant moi un film tourné dans les années cinquante. La ferme, son étable, sa bergerie et son grand hangar pour stocker la paille se matérialisent dans ma tête puis s’animent soudain. C’est l’époque de la moisson et la cour s’agite comme une ruche depuis que la batteuse s’est mise à ronfler. Les ouvriers s’activent dans un halo de poussière. Ils secouent la balle – l’enveloppe du grain – et les barbes d’épis qui s’attachent à leurs vêtements et à leur peau…
Une grande table est dressée en plein air, dans l’ombre du long bâtiment et des hommes mangent, les coudes sur la table. La fatigue et la faim les empêchent de parler. Ils sont presque tous maigres et hâlés. Leur poitrine et leur dos sont ruisselants de sueur… peu à peu, ils se détendent, heureux de restaurer leurs forces, de rafraîchir leurs gorges altérées. Certains sourient même parfois à l’une des jeunes femmes qui font le service pendant que d’autres sortent leur blague à tabac et roulent une cigarette devant leur verre de café…
 
Le TGV se met à freiner. Le film s’est rembobiné très vite et je retombe sur terre après un retour en arrière de plus d’un demi-siècle ! Derrière ma vitre, la densité de trafic sur l’A5 que nous longeons est élevée et les nombreuses lignes haute tension annoncent de proches concentrations de population. Le soleil a commencé à embraser l’horizon et un avion qui cherche à se poser coupe son disque flamboyant. Nous jouons à cache-cache avec les rayons solaires en nous engouffrant puis en ressortant des tunnels situés à Villecresnes et à Limeil-Brévannes.
 
Nous ralentissons pour reprendre la ligne classique après être passés au-dessus du triage de Villeneuve Saint-Georges. Les espaces verts deviennent rares. Les immeubles ont pris de la hauteur et les centrales d’incinération attendent leurs provisions de déchets. Le Vert de Maisons puis Maisons-Alfort : dans moins de 10 minutes, nous serons arrivés. Notre TGV franchit à vitesse réduite les premiers aiguillages de la gare de Lyon. Il s’immobilise à 21 h 30.
 
Je me dirige d’un pas lent vers la sortie. Durant ce voyage, je n’ai pas ouvert la revue que j’avais placée sur ma tablette. La variété des paysages qui ont défilé derrière la baie vitrée m’a permis de me replonger dans la géographie. Et puis cette trop brève immersion dans le passé m’a procuré un réel bien-être. En franchissant le pont Charles de Gaulle pour atteindre la rive gauche de la Seine, je me retourne et je m’arrête un court instant. Sur la rive d’en face se dressent quatre tours imposantes. Elles portent les logos d’entreprises nationales et privées : SNCF – NATEXIS – SETEC – RATP dont les lettres ont une hauteur impressionnante. Les derniers rayons du soleil font étinceler les vitrages des bureaux où doit s’affairer à cette heure le personnel de nettoyage. Une rame de métro de la ligne N° 5 se tord dans la courbe qui précède le pont métallique sur la Seine, en forme d’arche, en faisant vibrer son tablier plus que centenaire. Les derniers rayons du soleil font briller sa structure avant de s’éteindre dans le lit du fleuve. Les lampadaires éclairent d’une lueur pâlotte cette journée qui n’en finit pas. J’aime ces soirs d’été qui durent et que la nuit peine à envelopper…

 

Pour référencer cet article :

Francis Boulanger, Paysages et moissons à grande vitesse, Openfield , 8 janvier 2019

Rame 4707 à Marseille.@ Patrick Lêvêque
SNCF – TGV – Passage en ligne – LGV Sud-Est – Courlon (89) @ Patrick Lêvêque
sous le viaduc de la cotière, la ligne Lyon-Genève @Lionel Mollard
Passage en ligne d’une UM de rames TGV Duplex sur la LGV Interconnexion Sud près de Crisenoy en région parisienne, FRANCE – 15/05/2015 @ Patrick Lêvêque

TGV – LGV Sud-Est – TGV Duplex Carmillon – Passage en ligne @ Patrick Lêvêque
SNCF – TGV – Passage en ligne @ Patrick Lêvêque
Quartier de la gare de Paris-Lyon @ Francis Boulanger