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À la découverte du Svalbard

Entre paysages fantasmés et réalité

Ingénieure paysagiste, mon intérêt pour les paysages nordiques remonte à 2013 lors d’un voyage au parc national d’Abisko, en Laponie norvégienne. À la suite de ce séjour, je me fais la promesse d’aller habiter dans ces paysages exceptionnels où la nature impose son rythme. Je souhaite comprendre les enjeux de ces territoires, j’aimerais créer avec ces paysages, une relation intime. En 2016, je décroche un emploi qui me permet de vivre une année à Alta, en Laponie Norvégienne. Je décide d’aller plus loin : de m’aventurer sur l’île du Spitzberg, sur l’archipel du Svalbard. J’organise mon départ en mai 2019, avec la volonté de partager ma découverte de ces paysages si particuliers.

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Situé au nord de la Norvège, dans l’océan Arctique, l’archipel du Svalbard se compose de plus d’une trentaine d’îles comprises entre 74° et 81° de latitude nord. Sa superficie est de 61 022 km2 pour 2 428 habitants1. Depuis le Traité de Svalbard, signé à Paris, en 1920, le territoire est sous la gouvernance de la Norvège. Le Spitzberg, Nordaustlandet et Edgeøya sont les trois îles principales du Svalbard. Mais seules sept localités sont habitées de façon permanente.
Je me rends à Longyearbyen considérée comme « capitale » de l’archipel. Il n’existe pas de route entre les différentes localités et les moyens de transport les plus pratiques restent l’avion, la motoneige en hiver et le bateau en été2. Les glaciers recouvrent environ 60% de l’archipel et moins de 10% est couvert par de la végétation. Espace d’une richesse inestimable, 65% de son territoire est classé en tant que zone protégée ainsi que 87% de son littoral3.

Départ pour Longyearbyen, 15 mai 2019

Absalong Beyersgaten, Bergen, 8h56 60° 40’N – 5° 03’E.

Je claque la porte de mon appartement, mon sac de randonnée bien chargé dans le dos. Bruit sourd de mes chaussures sur les marches de l’escalier en bois. Une fois à l’extérieur, je descends le coteau bordé de maisons de bois blanches mitoyennes vers le centre-ville. Prendre le tramway en direction de l’aéroport. Le ciel bleu sublime les nouvelles feuilles des arbres. Il fait une dizaine de degrés. C’est une belle journée de mai qui s’annonce tandis que je m’apprête à retourner en hiver.

Flesland, aéroport de Bergen, 10h43 60° 17’N – 5° 13’E

J’enregistre mon sac à dos aux bornes automatiques. Le bagage s’éloigne sous les vibrations du tapis roulant. Depuis Bergen, il faut un peu plus de six heures pour rejoindre Longyearbyen. Une escale à Oslo est nécessaire.

Aéroport d’Oslo, 15h15 60° 12’N – 11° 05’E

Après un passage par la douane, nous allons embarquer dans l’avion. Bien que l’archipel fasse partie de la Norvège, il ne fait pas partie de l’espace Schengen et n’est donc pas considéré comme un vol interne. La composition des passagers est internationale. L’hôtesse de l’air doit être patiente. Tous les passagers ne parlent pas anglais. À deux rangées de moi, deux jeunes femmes parlent français. Je tends l’oreille. À leur conversation, je comprends qu’elles travaillent sur un brise-glace.

– On utilise la méthode suédoise, explique-t-elle avant de se lancer dans des explications techniques que je ne maîtrise plus.

À l’approche de Longyearbyen, Svalbard, 18h33

Le capitaine annonce en norvégien puis en anglais que l’appareil amorce sa descente. Je me penche contre le hublot pour mieux voir. Tout est gris et blanc. Un jeu de transparence avec des nuages laisse distinguer des formes sombres et menaçantes en contrebas. Les flocons tourbillonnent en masse. Les rafales de vent secouent l’appareil de gauche à droite. L’avion descend le long des montagnes. Le silence se fait. L’absence de formes distinctes et reconnaissables impressionne. Le brouillard laisse apparaitre des morceaux de roches noires non recouverts de neige. En plissant les yeux, on devine les pistes sillonnées par les motoneiges. Le fjord apparait au fur et à mesure que nous nous rapprochons du sol. La glace recouverte de neige laisse place à une large étendue d’eau bleu sombre. Un attelage de chien de traîneau glisse sur l’étendue immaculée au bord du fjord.

Aéroport de Longyearbyen, Svalbard, 18h52, 78° 14’N – 15° 27’E

Nous descendons les quelques marches de l’avion et traversons le tarmac en direction d’un bâtiment. Un vent froid pique le visage et contraste avec la douceur du climat de Bergen. Autour de nous, un paysage menaçant en noir et blanc se dessine. Ciel bouché gris sombre, roches noires au sommet des montagnes et manteau de neige sur les pentes autour. Je débouche sur une grande pièce où un tapis roulant se met en branle. Au même moment, un bip strident retentit. J’observe les passagers qui attendent pour récupérer leurs affaires. On peut assez aisément distinguer les habitués des touristes à leur tenue vestimentaire et au type de bagages qu’ils ont emportés. Une jeune asiatique récupère sa valise colorée tandis qu’un groupe de jeunes transporte du matériel de tournage. En entendant les conversations, je comprends que beaucoup sont là pour travailler sur des navires brise-glaces. Des guides de montagne arrivent pour le début de la saison et sont accueillis par les organismes qui les emploient. Très peu de famille. Quelques voyageurs solitaires. Un groupe de Russes, la quarantaine, en tenues sombres et sacs sur le dos. À l’extérieur, je retrouve avec plaisir l’immensité des paysages nordiques. L’absence de végétation. Les larges routes en asphalte. Pas de fioriture. Juste le minimum nécessaire à la vie humaine. Le fjord s’allonge à quelques centaines de mètres de l’aéroport. Une grande plage de neige blanche nous sépare de l’eau bleu sombre. Derrière moi, une longue ligne de falaises noires à demi recouvertes de neige s’étale à perte de vue. Je leur trouve un air menaçant. Face à nous, un panneau triangulaire met en garde contre la présence d’ours polaires. Bien que l’aéroport soit proche de la ville, il n’est pas possible de faire le trajet à pied sans être armé. Une flopée de touristes se précipite pour être photographiés sous le panneau, laissant leurs valises en plan au milieu du trottoir. D’autres panneaux indiquent quelques grandes villes et les distances qui nous séparent d’elles. New York, 5581 km. London 3043 km. Mexico City 8425 km. Deux bus sont garés devant l’aéroport. Je demande au chauffeur s’il va à l’auberge où je dois séjourner. Il m’indique le second bus. Mon sac est jeté dans la soute à bagages. Je monte dans le véhicule. Une fois tous les passagers embarqués, le chauffeur passe parmi nous pour nous faire payer le billet. J’ai beau parler norvégien, le chauffeur s’adresse à tout le monde en anglais. En attendant qu’il termine, je regarde le groupe de jeunes fixer une valise sur le toit d’une vieille voiture. Visiblement, ils sont là pour filmer. Ils ont avec eux plusieurs caisses noires de matériel professionnel. Le chauffeur s’assoit. Nous partons. Nous traversons un grand parking quasiment vide où stationnent quelques 4*4. Le bus sort de l’enceinte grillagée de l’aéroport. Une route chaotique s’allonge entre le fjord et les falaises. L’alternance gel-dégel a particulièrement endommagé la voirie au fur et à mesure des années. Le chauffeur roule à bonne vitesse. Nous bondissons à chaque creux ou bosse. Les pneus crissent sur le gravier en bordure de la chaussée. Le chauffeur roule de gauche à droite afin d’éviter de gros nids de poule. Plus loin, sur les bords du fjord, de rares maisonnettes en bois colorées attirent le regard dans ce paysage terne et étrange. Des rennes paissent le long de la côte. Les couleurs des falaises et de l’eau dégagent une ambiance particulière. Je ne me sens pas particulièrement bienvenue sur ce territoire aride. Le paysage impressionne. Peu de personnes discutent. On chuchote presque. Les conditions de vie difficiles transparaissent. Malgré la beauté de ce territoire, quelque chose invite à rester sur ses gardes. Nous longeons un port. Conteneurs multicolores. Bâtiments industriels. Longue cheminée grise et fumante. La falaise disparaît et ouvre sur la vallée de Longyearbyen. D’autres maisonnettes colorées tassées les unes contre les autres apparaissent. Le chauffeur annonce plusieurs fois les hôtels qu’il dessert. Nous nous arrêtons pour laisser descendre des voyageurs près de cabines en bois à l’aspect faussement rustique. Le bus opère un demi-tour dans un sentier de gravier et de neige fondue. Les touristes descendent au fur et à mesure. Certains ont emporté leurs skis avec eux. Je suis à présent la dernière dans le bus. Le chauffeur me demande où je vais.

– Gjesthuset 112, dis-je en prenant mon plus bel accent norvégien.

Il acquiesce. Nous quittons Longyearbyen pour nous enfoncer dans la vallée. Une voie défoncée ponctuée de balises rouges mène à un groupe de baraques en bois jaune, bleues et rouges à l’extérieur du centre-ville. Le lieu-dit de Nybyen, « la nouvelle ville » en norvégien, est un petit groupe de maisonnettes situé à une trentaine de minutes à pied de Longyenbyen. Le chauffeur arrête le bus autour du groupe de maisons jaunes.

– Gjesthuset 112 et Coal Mine Huset, annonce-t-il sans expression particulière.

Je le remercie, descends et attrape mon sac dans la soute à bagage. Le vent souffle. Il y a de la neige partout sauf sur la chaussée. La température extérieure est de –4°C. Le bus opère un nouveau demi-tour et s’éloigne. Je repense au début du printemps qui fleurit à Bergen.

Nybyen, Svalbard, 18h52 78° 12’N – 15° 34’E

Je gravis une petite pente raide puis un escalier en caillebotis métalliques qui mène à la porte d’entrée de mon auberge. Je tire la poignée de la porte en bois. Dans un couloir étroit, deux étagères de plastiques blancs remplies de chaussures m’indiquent qu’il faut se déchausser. C’est une tradition norvégienne afin d’éviter d’emporter de la neige et des graviers à l’intérieur. À ma droite, je suppose que l’escalier en bois mène aux chambres. Je continue dans l’étroit couloir. L’accueil est fermé. Sur le comptoir : plusieurs enveloppes avec des noms inscrits dessus. Je trouve la mienne. Ma chambre est à l’étage. Elle n’est pas aussi petite que je l’imaginais. Un lit une place occupe les trois quarts de la pièce. Une petite armoire, une table et une chaise en bois noir l’accompagnent. Face au lit, un lavabo et un miroir. Le sol est en parquet de couleur noire également. Les murs sont blancs. Un confort spartiate et simple. Une fenêtre donne sur le flanc de montagne enneigé que j’ai longé en bus. Je redescends. Tandis que j’enfile mon pantalon de ski et mes Caterpillar®, une jeune femme questionne la réceptionniste.

– À quelle heure est la prochaine navette pour le centre-ville ?

De l’autre côté du comptoir, la jeune Thaïlandaise retient un rire et lui explique qu’il n’y a ni bus ni navette pour se rendre à Longyearbyen.

– Mais si vous souhaitez, je peux vous appeler un taxi, continue-t-elle compatissante. Emmitouflée dans ma doudoune, je sors. Longyearbyen n’a rien à voir avec une station de ski ou une ville touristique, bien qu’en passe de le devenir de plus en plus compte tenu de l’engouement grandissant pour ce genre de paysage.

Longyearbyen, Svalbard, 19h30 78° 13’N – 15° 39’E

Après m’être hâtée le long de la route entre Nybyen et Longyearbyen, j’arrive devant l’unique supermarché. N’ayant pas emporté de nourriture dans mes bagages, je suis contente de constater qu’il est encore ouvert. Sur la porte d’entrée, deux autocollants indiquent que les fusils et pistolets ne sont pas admis à l’intérieur. Dehors, une femme attend avec son chien en laisse, carabine à l’épaule. Cette particularité du port d’arme autorisé sur l’archipel lui confère un petit air américain. En effet, pour circuler autour de Nybyen et de Longyearbyen, il est nécessaire d’être en possession d’une arme ainsi que du permis qui l’accompagne en cas de rencontre inopinée avec un ours polaire. Sous leurs airs de peluche, les ours polaires sont de redoutables prédateurs et les accidents sont malheureusement fréquents. L’augmentation du tourisme dans les montagnes alentours multiplie les risques de rencontre entre humains et ours polaires. En parallèle, le dérèglement climatique qui touche ces paysages impacte les ressources alimentaires des ours qui tendent à se rapprocher des espaces habités en quête de nourriture.

Auberge Gjesthuset 112, Nybyen, Svalbard, 21h20, 78° 12’N – 15° 34’E

Au premier étage, au bout du couloir, la cuisine de l’auberge est petite mais lumineuse. Une grande table carrée entourée de tabourets en bois. Elle occupe presque tout l’espace et les murs autour de la table peuvent servir de dossier lorsque l’on est assis. De l’autre côté, deux réfrigérateurs et une étagère métallique à laquelle pend un marqueur attaché à une ficelle se tiennent le long du mur. À côté, un plan de travail surmonté de placards blancs et d’une gazinière complète l’aménagement de la pièce.

J’entreprends de faire bouillir l’eau pour mes pâtes lorsqu’un jeune homme d’un âge similaire au mien, entre dans la cuisine. Après un échange de banalité, il me dit qu’il est italien. Aujourd’hui, il a photographié une femelle ours polaire et ses deux petits près de Pyramiden, là où je me rends demain. Il me montre ses photos et me raconte son excursion pendant que nous dînons. 

22h15

Le repas achevé, l’italien quitte la cuisine tandis que je commence ma vaisselle. Dans le couloir, je l’entends discuter avec un groupe d’étudiants français. Il leur montre les photographies que je viens de voir. À la vue des clichés, l’une des jeunes femmes lâche un cri d’admiration. S’ensuit une discussion passionnée sur « comment trouver le meilleur spot pour observer ces animaux ». Une autre voix demande si les ours polaires qu’il a vus étaient maigres. L’Italien répond que non.
Nombreux sont les touristes qui viennent sur l’archipel dans l’unique but de photographier des ours polaires, des morses ou des baleines. Les compagnies touristiques fleurissent et proposent toutes sortes de tours et croisières pour apercevoir ces animaux.

22h35

De retour dans ma chambre, l’intensité lumineuse bat son plein malgré le ciel gris. Je tire les rideaux et allume la lampe de chevet fixée au mur afin d’avoir un semblant d’ambiance nocturne. La vive lumière du jour perce tout de même entre les rideaux. 

 

Note / Bibliographie :

1. Données en 2019
2. Livre blanc du Svalbard, 2016
3.Norwegian Directorate For Nature Management

Pour référencer cet article :

Lucie D'Heygère, À la découverte du Svalbard, Openfield numéro 23, Juin 2024

Sassenfjorden, sommets des falaises près de Diabasodden 15/05/2019, 12h12 ©Lucie D’heygère
Billefjorden, fonte de la banquise plus précoce d’année en année 15/05/2019, 13h29 ©Lucie D’heygère
Voilier devant un glacier dans le détroit de Forlandsundet 17/05/2019, 12h02 ©Lucie D’heygère
Glacier dans le détroit de Forlandsundet 17/05/2019, 12h04Kongsfjorden, arrivée silencieuse dans le port de Ny-Ålesund, 17/05/2019, 13h20 ©Lucie D’heygère
Kongsfjorden, arrivée silencieuse dans le port de Ny-Ålesund, 17/05/2019, 13h20 ©Lucie D’heygère