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Les mauvaises herbes et le mouvement

En silence, les végétaux immobiles en apparence, voyagent, portés par les vents et l’Homme. Au gré des courants d’air et des voyages les paysages se forment et se déforment, ainsi va la vie, jamais figée, toujours agitée. Cette même agitation nous anime et nous rapproche, nous êtres humains. Brisant les frontières, nos déplacements emportent avec eux les graines de nos campagnes.

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Notre flore deviendra ailleurs flore exotique et inversement. Pourtant la Nature s’en moque, elle ne connait pas les frontières. Pour elle, nulle flore locale et nulle flore importée, le brassage est planétaire, elle laisse faire, faisant confiance aux végétaux eux-mêmes qui finiront par se réguler seuls, sans l’aide de personne, comme ils l’ont toujours fait.

À contre-courant des dynamiques naturelles, l’Homme, dans sa manie de tout contrôler, voit en l’espèce exotique une menace là où la Nature voit un chapitre de son évolution et non une conclusion. Il interdit, organise, planifie et modélise par peur du changement qu’il désire pourtant si fort, mais rarement il laisse faire. Ne rien faire c’est le syndrome de la page blanche, ça terrifie et ça pose question, la question ouvre alors le débat qui lui-même alimente les rumeurs… Contradictions entre conservation passéiste et l’intuition d’une évolution, ne rien faire c’est déjà faire quelque chose : observer la Nature reprendre ses droits.

Prenons pour exemple les kilomètres et les kilomètres de chemins de fer qui irriguent notre territoire. Hormis le Buddleia – aussi appelé arbre à papillons à juste titre – rares sont les végétaux à pousser ici. Pollutions diverses, pauvreté et mauvaise qualité des sols, ballast asphyxiant, soleil brûlant. Malgré tout cet arbuste s’érige en rebelle et fait profiter de ses longues inflorescences sucrées de nombreux insectes qui régaleront quelques oiseaux. Véritables refuges de biodiversité, les Buddleias ont pourtant mauvaise réputation. Au même titre que les « mauvaises herbes », il est indésirable. C’est une plante « invasive » paraît-il. Pour qui ? Pourquoi ? Qui un jour a décidé de l’affubler de l’étiquette de plante invasive ? Son seul défaut c’est celui d’être fertile, très fertile certes, mais regardons où il s’installe ! Fait-il concurrence à d’autres espèces jugées plus nobles ? Pas en ces lieux stériles. C’est alors une question esthétique ? Quiconque a déjà vu ses inflorescences de fleurs mauves ne saurait dire qu’il est laid et quelconque. Le Buddleia subit la rumeur et il n’est pas le seul.

On nous inonde de discours alarmistes : « Peste verte », « mauvaises herbes », « plantes invasives ». On aime l’exagération, le spectaculaire, montrer ô combien c’est mauvais, méchant et sale. Certains vont même à exiger la fermeture des frontières pour éviter toute « contamination verte ». Une surenchère sémantique propre à notre époque et notre société. Pourquoi tant de haine à l’égard de la chlorophylle venue d’ailleurs ? Si nous avions à écouter les pseudo-érudits bien trop médiatisés, nous ne mangerions que des racines bien françaises de topinambours et de panais et nous n’aurions jamais gouté aux plaisirs « exotiques » des tomates et des poivrons qui sont des plantes, rappelons-le, originaires d’Amérique. Pas de mouvement, pas de tomates ! Empêcher le mouvement des végétaux, c’est réduire la diversité de la palette végétale et celle de notre assiette. Rester en huis clos, c’est amoindrir et altérer la qualité de la biodiversité. Le brassage des espèces y compris la nôtre est au cœur du processus d’évolution. Aucune évolution n’est possible sans mouvement ni métissage.

À l’origine de ce mouvement, il y a la graine, concentré fertile, réduction absolue de la vie. Tout y est déjà programmé ; hauteur, feuilles, couleur des fleurs, des fruits, parfum, goût. La graine qui une fois au sol germera et qui donnera naissance à une nouvelle plante qui elle même donnera des graines qui donneront de nouvelles plantes. Un cycle perpétuel, implacable, quasi mathématique. La graine c’est un peu le sac magique de Merlin l’Enchanteur, tout est rangé dans un minuscule contenant sans que personne le soupçonne. Si petit et pourtant si puissant. Avant même d’accomplir son cycle, la graine à une mission, germer loin du pied mère pour éviter toute concurrence et ainsi perpétuer l’espèce et coloniser de nouveaux espaces. Pour se faire, l’imagination de la Nature est sans limites. Au fil des évolutions, l’enveloppe externe des graines s’est adaptée selon les modes de transports les plus commodes. Ailes, mini-ombelles, crochets, glu… Il faut que ça bouge vite et loin. Les animaux à poils, les oiseaux et les Hommes sont les meilleurs alliés des graines, grâce à leurs mobilités ils peuvent les amener, gratuitement et sans effort, là où elles n’auraient jamais pu aller.

C’est l’exemple de la Garance voyageuse (tout est dit dans son nom vernaculaire, elle voyage, et son nom latin Rubia peregrina, de pérégrination enfonce le clou), qui le moment venu largue ses petites boules remplies de crochets qui s’accrochent aux poils de nos chiens et chats. En observant ce phénomène naturel ingénieux, l’Homme a eu l’idée de l’adapter pour ses propres besoins, ainsi est né le velcro qui sera largement utilisé pour les scratchs de nos chaussures et autres blousons made in 90’. Quand on sait que désormais elle est listée parmi les « mauvaises herbes », on se dit que l’Homme est un être ingrat à la mémoire courte.

D’autres graines, plus fleur bleue et romantiques, préfèrent le vent pour s’éparpiller au gré des courants d’air. Toutes voiles déployées, les graines ailées peuvent parcourir de grandes distances avant d’atterrir sur un substrat propice à leur développement. C’est le cas du pissenlit et de ses petites graines surmontées d’un plumet duveteux – qui n’a jamais soufflé dessus pour les voir s’envoler ? – ou encore des hélicoptères de notre enfance, ces samares d’Érables qui tournoyaient quand ont les lançaient au-dessus de nos têtes. Tous ces efforts ne sont pas récompensés pour autant. Chaque mouvement implique une part d’aléatoire qui empêche quiconque de prédire quand et où une graine pourra germer.

Me promenant un jour ensoleillé dans les rues de Bordeaux je m’arrêtais auprès d’une dame qui s’écaillait le vernis en arrachant les quelques touffes d’herbes folles s’élevant du trottoir devant l’entrée de son immeuble. Stupéfié qu’un tel geste puisse encore exister – naïvement je pensais que les trottoirs fleuris, les pieds d’arbres laissés en jachères et les joints de pavés enherbés étaient devenues une pratique « normale », saluée et salutaire – j’entamais un début de dialogue. – « Mais que faites-vous ? Elle n’a rien demandé cette pauvre petite herbe ! – Justement elle n’a pas demandé la permission de pousser devant ma porte. Non, mais regardez-moi ça, y’en a partout s’en devient sale… » Le dialogue était rompu. Bizarrement cette dame ne ramassait pas les mégots qui pullulaient sous ses yeux. Allez savoir. Cette situation est révélatrice d’une tendance qui ne faiblit pas, la méconnaissance des dynamiques naturelles, du mouvement et du brassage.

Notre rapport à la nature est complexe et impulser un nouveau regard n’est pas chose aisée. Pendant des siècles notre société a été la maitresse d’une nature domptée. Regardons le parc du Château de Versailles, jardin à la française irréprochable de régularité. Fierté de Louis XIV, il montrait au monde entier la capacité du Roi à maitriser la nature et les éléments. Depuis, peu de changement, la plupart de nos jardins sont des minis Versailles. Taillés au cordeau, entretenus comme des terrains de football, ne laissant aucune place à l’imprévue. « C’est comme ça qu’il faut faire ! » entends-je parfois. « C’est plus joli et plus propre ! » Allons bon. L’herbe sur le trottoir c’est le grain de sable qui dérègle la machine. Il est temps de la dérégler une bonne fois pour toutes.

 

 

Note / Bibliographie :

Bibliographie personnelle :

Improbabilis, le végétal sous les obus de Nicolas Deshais-Fernandez – Parution en 2019

Pour aller plus loin sur le sujet  :

La grande invasion, qui a peur des espèces invasives ? de Jacques Tassin – 2014 – Editions Odile Jacod
Eloge des vagabondes de Gilles Clément – 2012 – Editions Nil
L’écologie est-elle encore scientifique ? de Christian Lévêque – 2013 – Editions Quae

Pour référencer cet article :

Nicolas Deshais-Fernandez, Les mauvaises herbes et le mouvement, Openfield , 8 janvier 2019

Buddleia davidiii à l’assaut des rails en friche @ Anthony Rojo
vert sur rouille @ Anthony Rojo