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Un jardin méditerranéen économe en eau

Le jardin des nymphes, une expérimentation qui fait ses preuves

« Imaginer le jardin urbain méditerranéen de demain », voilà le thème de l’édition 2018 du concours national étudiant « Botany For Change », organisé par Klorane Botanical Foundation.

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Pour moi c’est évident, le jardin de demain doit faire face aux changements climatiques, d’autant plus en méditerranée, où le climat est très rude, avec des périodes de sécheresse qui s’allongent de plus en plus au fils des années, jusqu’à 7 mois d’affilée sans une pluie efficace en région marseillaise en 2017.L’eau se fait donc rare. Et pourtant aujourd’hui, un trop grand nombre de jardins sont dépendants d’un arrosage systématique et souvent automatisé par du goutte-à-goutte.
Sera-t-il demain toujours possible de concevoir ce type de jardin ?
Ou alors sommes-nous résignés à voir disparaitre les jardins en régions méditerranéennes ?

Je ne peux pas me faire à cette idée, c’est pourquoi le jardin de demain sera économe en eau !

Le concours « Botany For Change » a ainsi été une formidable opportunité pour que j’expérimente ce principe. À l’époque, j’étais étudiant en dernière année à l’École Nationale Supérieure de Paysage (ENSP) de Marseille. Malgré un programme déjà bien chargé, je décide de me lancer, car je sens qu’il y a un vrai enjeu. Je participe donc au concours avec une autre étudiante de l’ENSP : Mathilde Clément.
Quelques semaines après avoir déposé notre dossier, le verdict tombe : nous sommes lauréats du concours. L’idée a su séduire le jury, nous devons maintenant la concrétiser sur le terrain. 200 m² sont ainsi mis à notre disposition au sein d’un lieu emblématique de la ville de Marseille : le Parc balnéaire du Prado. Cet espace public non clôturé attire chaque année plus de 3 millions de visiteurs. Le jardin sera donc une réelle vitrine pour mettre en scène nos idées.

Site d’implantation du futur jardin lauréat, Parc Balnéaire du Prado, mars 2018, ©Nicolas Delporte

Le Jardin des Nymphes, comme nous l’avons appelé, repose sur deux grands principes.
C’est d’abord un jardin économe en eau. Aucun arrosage automatique n’est installé. Seul un arrosage manuel durant les deux premières années de mai à octobre est prescrit. Ensuite, il sera autonome en eau.
Et puis c’est un jardin qui montre l’incroyable diversité des plantes méditerranéennes. C’est pourquoi nous plantons des végétaux originaires du biome méditerranéen, c’est-à-dire des régions du monde soumises au climat méditerranéen : Californie, Australie, Afrique du Sud, Chili et Bassin méditerranéen. Peu importe leur origine, tant qu’ils sont naturellement adaptés au climat et qu’ils sont produits localement. La palette méditerranéenne est ainsi bien plus diversifiée que les traditionnelles lavandes et romarins que les jardineries classiques veulent bien nous vendre. Nous testons ainsi quelques espèces peu connues et pourtant bien adaptées en théorie : Sarcopoterium spinosum, Salvia leucophylla ‘Figueroa’, Coleonema album, Lithodora hispidula, et bien d’autres…
Nous voulons prouver qu’il est possible d’avoir un beau jardin toute l’année en méditerranée, même en étant économe en eau. Pour cela, nous nous inspirons de la nature.
Mais pour être économe en eau, il est cependant nécessaire de respecter plusieurs règles durant les trois grandes étapes d’un projet de jardin : la conception, la réalisation, et la gestion.

Tout d’abord, lors de la conception, nous définissons notre palette végétale par rapport aux contraintes du site et de la demande de la maitrise d’ouvrage. Dans notre cas, nous devons choisir des végétaux adaptés au climat méditerranéen et aux embruns, ainsi qu’à la dégradation potentielle du public. C’est pourquoi nous privilégions des plantes qui poussent dans les milieux naturels des régions littorales du biome méditerranéen, à l’image de la santoline, du phlomis ou encore du dorycnium. De plus, pour faire face aux potentielles dégradations, nous favorisons le choix de végétaux qui peuvent repousser de la souche comme l’asphodèle, qui résistent au piétinement tel le lippia, ou alors qui disposent d’un feuillage épineux défensif comme le sarcopoterium.

Pour faire ce travail de sélection, nous nous appuyons sur les pépinières de la région, spécialisées en plantes méditerranéennes. Nous nous rendons donc chez plusieurs producteurs : la pépinière Filippi, Bulb’Argence, ou encore l’Armalette, afin d’échanger, puis choisir avec eux nos plantes. Les pépiniéristes sont formels, si l’on veut un jardin économe en eau, en plus de planter des végétaux adaptés au climat, il faut prendre des petits sujets. Or, on demande souvent aux paysagistes de produire un jardin qui soit « beau tout de suite », nécessitant des grands sujets. D’autant plus que dans notre cas, le jardin sera inauguré officiellement devant des élus, le jury et le grand public lors d’une cérémonie de remise de prix. Nous sentons une certaine inquiétude de la part de la maitrise d’ouvrage vis-à-vis de notre choix de planter de petits sujets. Elle redoute, j’imagine, que le grand public soit déçu par l’inauguration du jardin.
Bien conscients de l’importance de cet évènement comme outil de communication à double tranchant, nous voulons justement en profiter pour transmettre les règles nécessaires afin d’obtenir un jardin économe en eau.
Pour convaincre, nous décidons de mettre en scène un savoir-faire ancestral : l’arrosage manuel à la cuvette. Nous faisons alors référence à l’imaginaire lunaire des paysages viticoles de l’île de Lanzarote, en soulignant chaque cuvette en demi-lune par du gravier blanc.
Malgré des plantes de petite taille, nous en sommes convaincus, le Jardin des Nymphes ne laissera pas indifférent.

Plantations en cuvette de vignes sur l’île de Lanzarote, ©V.Vinz

Une fois la conception terminée, il faut passer à la réalisation. Nous devons mettre en œuvre le jardin par nos propres moyens. Néanmoins, nous décidons de nous entourer des futurs gestionnaires du Jardin des Nymphes, à savoir : les jardiniers du Service Espace Vert (SEV) de Marseille. C’est pour nous un moyen primordial de tisser un lien entre concepteur et gestionnaire. Nous voulons tenter d’effacer la distance qui peut séparer le paysagiste du jardinier, et inversement. Nous sommes persuadés que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, et que cette implication mutuelle ne pourra qu’être bénéfique au jardin.

D’autre part, pour obtenir un jardin méditerranéen économe en eau, il est indispensable d’avoir un sol adapté aux végétaux que nous implantons. Les plantes méditerranéennes poussent naturellement dans des sols pauvres, secs et bien drainés. À la vue du sol en place déjà artificialisé, il nous faut bien le décompacter, puis le drainer en y incorporant des cailloux. On entend souvent dire qu’il est nécessaire d’enrichir son sol en matière organique lors de la plantation. Dans notre cas, il a plutôt fallu l’appauvrir, au risque que nos plantes ne s’adaptent pas correctement pour faire face au climat.
Après un travail du sol consciencieux, nous plantons chaque végétal dans une cuvette d’arrosage, d’habitude réservée uniquement aux arbres. Cette cuvette est essentielle pour conduire l’eau en profondeur, là où les racines vont aller se développer et ainsi pouvoir résister à la sécheresse. Alors certes, cette pratique prend du temps, mais si cela permet au jardin de devenir économe en eau, n’en vaut-elle pas la peine ?

Plantations en cuvette, Mai 2018 ©Arnaud Späni
L’arrosage à la cuvette, un procédé indispensable pour le développement d’un système racinaire profond, ©Mathilde Clément, redessiné d’après un dessin d’Olivier Filippi
Juste après la plantation, mai 2018 © Nicolas Delporte
Après l’inauguration, Mai 2018 ©Arnaud Späni

La réalisation s’est bien passée, l’inauguration également. Le jury et la maitrise d’ouvrage sont finalement rassurés par le public, qui semble à l’écoute de notre message.
Le jardin est maintenant « livré », il peut alors commencer à se développer, désormais guidé par les jardiniers du SEV de Marseille.

Nous aurions pu nous arrêter à cette étape, ce qui est courant dans la profession. Toutefois, en tant que jeune paysagiste concepteur, j’ai personnellement souhaité poursuivre le projet du Jardin des Nymphes. Puisque comme énoncé précédemment, un projet de jardin se déroule pour moi en trois étapes : la conception, la réalisation, et la gestion. J’ai ainsi proposé un suivi du jardin en collaboration avec Klorane Botanical Foundation  et le Service des Espaces Verts de Marseille.
Le Jardin des Nymphes est alors devenu un support d’ateliers pédagogiques, servant à accompagner les jardiniers dans l’évolution du jardin, tout en leur prodiguant une formation continue sur la gestion d’un jardin méditerranéen économe en eau.
Mon rôle initial de paysagiste concepteur a évolué, puisqu’il s’est hybridé avec celui de jardinier et de formateur. Une hybridation qui a mes yeux semble pertinente pour saisir et transmettre la complexité du vivant, l’une des matières premières pour un paysagiste.

Au cours de ces 2 ans, 5 ateliers ont eu lieu. Ils ont permis d’accompagner le jardin et les jardiniers dans leur évolution. En fonction de celle-ci, il a fallu faire des choix et orienter les gestionnaires vers certaines pratiques parfois inhabituelles, afin de maintenir l’idée forte de départ d’un jardin économe en eau. Par exemple, les arbustes ne sont pas taillés après la floraison, puisque nous souhaitons favoriser les semis spontanés des végétaux que nous avons plantés. Grâce à cette pratique, nous n’avons pas besoin de racheter de plantes pour combler les mortalités. Le jardin est donc aussi une sorte de pépinière de pleine terre, où le travail du gestionnaire n’est pas de semer ou replanter, mais plutôt d’accompagner les dynamiques naturelles, grâce à un travail de sélection.

Aujourd’hui, à peine deux ans après l’inauguration en mai 2018, le Jardin des Nymphes a fortement évolué, les plantes ont décuplé de volume. Le taux de reprise est également très bon. De nombreuses plantes comme la lavande dentée, l’euphorbe arborescente et le tulbaghia se sont déjà ressemées, et assurent ainsi la pérennité du jardin. Il nécessite donc peu d’entretien grâce à un recouvrement total du sol par les végétaux ou une épaisse couche de paillage minéral. Quant à l’eau, les plantes n’ont été arrosées à la main que deux fois par mois pendant six mois, de mai à octobre pendant deux ans. Les cuvettes d’arrosage étant pour cela indispensables mais fragiles il a fallu les refaçonner deux fois, à chaque début de saison d’arrosage. Le système racinaire étant désormais suffisamment développé, le jardin est maintenant prêt à être autonome en eau, en se satisfaisant des pluies naturelles. Il n’est donc aujourd’hui plus nécessaire de reformer les cuvettes, qui disparaissent naturellement avec l’érosion.

Le Jardin des Nymphes fait figure de jardin expérimental pour des plantations économes en eau dans l’espace public méditerranéen. C’est pourquoi une publication retraçant le projet dans sa globalité est en cours de réalisation. Avec ses 200 m², il présente aujourd’hui une adaptabilité fragile à des échelles plus vastes, qu’il serait probablement pertinent d’approfondir. En effet, arroser à la main de grandes surfaces de plantation peut faire peur. Néanmoins, le processus de projet et la démarche entreprise peuvent j’en suis sûr, alimenter les questionnements de futurs projets, qu’ils soient publics ou privés, souhaitant s’orienter vers des plantations économes en eau.

Images du jardin des Nymphes, Février 2020, ©Nicolas Delporte

 

 

Note / Bibliographie :

Olivier Filippi, 2007, Pour un jardin sans arrosage, Edition Actes Sud

Pour référencer cet article :

Nicolas Delporte, Un jardin méditerranéen économe en eau, Openfield numéro 15, Juillet 2020