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L’atlas des régions naturelles

Nelly Monnier et Eric Tabuchi parcourent la France, à 20 kilomètres par heure en moyenne, au volant de leur voiture. Ils s’arrêtent régulièrement pour prendre des photos. Une pause repas à midi au bord de la route ou dans leur voiture et ils redémarrent. Quand ils ne roulent pas, ils sont dans leur atelier à trier les nombreuses images et à les classer.

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 De ce travail et cette aventure artistique est né l’Atlas des Régions Naturelles. Basée sur une cartographie établie par le croisement de différemment documents : cartes routières, cartes géologiques et un Guide des Pays de France,1 la carte de France qui en découle propose une autre lecture du territoire que celles de nos traditionnels départements : il s’agit d’un découpage plus fin, lié à l’histoire, au sol, à l’architecture des lieux, aux façons que l’on a d’y vivre.

« Le terme “région naturelle“ ou “pays“ désigne des territoires de petite taille dont les limites renvoyant à leurs caractéristiques naturelles sont – par opposition aux départements administratifs issus de la Révolution – difficiles à tracer. S’il est impossible d’en définir exactement les formes, leurs frontières d’abord physiques et géologiques mais aussi historiques et culturelles persistent à dessiner, dans une sorte de tradition orale, les contours d’une géographie dont la vivacité demeure bien réelle. (…)

Pour résumer, le terme de région naturelle est une notion assez vague qui désigne des territoires aux limites tout aussi incertaines. Cette imprécision, qui tempère l’autorité des cartes conventionnelles, nous a paru propice à décrire le continuum territorial qui est davantage une succession de nuances parfois ponctuées de ruptures franches – s’il fallait trouver une comparaison, on pourrait dire que les régions naturelles sont tour à tour des teintes d’aquarelle dont les contours se mélangent et des aplats de gouache dessinant des aires distinctes. 2»

Atlas des régions naturelles / carte des paysages / © Nelly Monnier et Eric Tabuchi

Cette cartographie se complète peu à peu de leurs photographies. Des cabanes, des granges, des silos, des vitrines, des zones commerciales, quelques rochers, quelques rivages, des champs, des arbres, un pylône, un stade, une église… Toutes ces photos sont soigneusement classées. Géographiquement d’abord. Puis par type de construction. Par matériaux. Par époque. Par forme et par couleur… Autant de moyens pour nous de prolonger leur errance derrière nos écrans. Une immense promenade que nous allons pouvoir faire durer longtemps, car si l’objectif est bien de garder 50 images en moyennes pour 450 régions cela fera un total d’environ 22 500 photos. Nelly Monnier et Eric Tabucchi en ont encore pour un moment.  

En fait, résume Nelly Monnier, l’Atlas des régions naturelles, c’est une excuse pour faire un immense road movie qui va encore durer au moins dix ans ! » Et Eric Tabuchi de préciser : « Enfin, plutôt un feuilleton balzacien, un roman-fleuve qu’on publie par épisodes !3 »

Images issues de la sélection croisée “ardoise” et “préfabriqué” © Atlas des régions naturelles / Archives ARN

La route, depuis le départ, est le continuum de leur mission et la voiture leur vaisseau d’exploration. C’est depuis elle qu’ils regardent le paysage, la France entière de manière continue et égale, mettant ainsi les grandes villes, les villages et les campagnes côte à côte, sans autres commentaires que ceux, parfois, qui apparaissent sur un panneau, sur un mur, ou dans l’incongruité de l’image.   Il leur est pourtant arrivé (rarement) de quitter la route, quand « déroutés », un territoire semble se dérober.  Alors la route ne suffit pas.

“Jusqu’à ce qu’on aille en Bretagne, la route nous suffisait comme vitrine de l’architecture, parce que l’architecture est dépendante d’un réseau routier. Documentant l’architecture, il nous a semblé assez évident que, grosso modo, la route était un réservoir suffisant pour la représenter. En Bretagne, le bord de la route n’était plus suffisant. On a dû aller au-delà. En Haute-Savoie aussi la pratique du paysage est très différente. () La neige (..) nous a fait quitter la voiture. On s’est rendu compte de ce rapport étrange à la propriété en Haute-Savoie : à partir du moment où il neige, légalement, la propriété est abolie. On pouvait pénétrer des domaines qui sont d’ordinaire complètement clos et interdits d’accès.4

Images issues de la sélection croisée “moyenne montagne” et “curiosité naturelle” © Atlas des régions naturelles / Archives ARN

À parcourir toutes ces images, à croiser les entrées thématiques pour faire apparaitre sur nos écrans des collections issues du hasard (de nos clics et de nos envies), s’exerce une forme de fascination. Il y a le plaisir de retrouver ce que l’on a vu, comme cette incroyable villa Keller dont les excroissances sont perchées au-dessus de la Romanche, ou comme ce petit corpus d’image de la petite ville de son enfance : un bord de Loire, un grand pont, une glycine devenue arborescente, un cimetière dominé par son monument aux morts. Et puis l’envie grandissante d’emboiter le pas, de prendre également la route pour aller voir, en vrai, ce pavillon des années 70 aux discrets volets verts, cet hôtel étroit dont les lettres de l’enseigne semblent dégouliner, ce bosquet de conifère enserré de murs. Au milieu d’un pré.

Images issues de la sélection croisée “grande ville” et “vestige” © Atlas des régions naturelles / Archives ARN

 

 

Glossaire :

1. Frédéric Ziegerman, Editions Fayard

2. Citations extraites du site Archive Arn https://www.archive-arn.fr/infos

3.Citations extraites du Portfolio et article de Claire Guillot dans le Monde Magazine

‘. Citations extraites de l’Entretien avec Océane Ragoucy dans AOC

Pour référencer cet article :

Armande JAMMES, L’atlas des régions naturelles, Openfield numéro 20, Février 2023