L’eime de la nuech

Plus du tiers de la population dans le monde ne peut plus admirer la Voie lactée depuis son lieu de résidence à cause notamment de l’accroissement de la lumière artificielle émise par l’éclairage public. Grâce à l’éloignement des principaux centres urbains, sources de pollution lumineuse, le Parc naturel régional de Millevaches en Limousin bénéficie d’un ciel étoilé exceptionnel pour l’Europe de l’Ouest. La Voie lactée peut y être vue à l’œil nu.

Le Syndicat mixte du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin s’est engagé dans la démarche de préservation du ciel étoilé et de l’environnement nocturne depuis plusieurs années et a déposé sa candidature officiellement en août 2021.  Le 30 novembre 2021 le PNR de Millevaches en Limousin est labellisé Réserve internationale de ciel étoilé (RICE), devenant ainsi la 4ème RICE de France.
Selon la définition qu’en donne l’IDA, une Réserve internationale de ciel étoilé (RICE) est un espace public ou privé de grande étendue jouissant d’un ciel étoilé d’une qualité exceptionnelle et qui fait l’objet d’une protection à des fins scientifiques, éducatives, culturelles ou environnementales.

La RICE Millevaches correspond au territoire du Parc, soit 39000 habitants, 3350 km² avec une zone cœur concernant 9 communes au centre pour 194 km². Au sein de cette zone cœur, l’obscurité naturelle est préservée au maximum, ainsi, dans une moindre mesure, qu’en zone tampon où les administrateurs publics et les acteurs privés reconnaissent l’importance du ciel étoilé et s’engagent à le protéger à long terme.

Des campagnes de mesures

Pour attester du caractère exceptionnel du Parc, plusieurs méthodologies ont été appliquées, et ont permis au Parc de faire un état des lieux des zones les plus polluées et les plus sombres du territoire.

Tout d’abord, le Parc a mis en place un système de mesure de la qualité du ciel participatif en utilisant des boîtiers SQM-L¹. Le programme a été baptisé “Veilleurs d’étoiles”, du nom donné à ceux qui qualifie les volontaires formés et mesurant la qualité du ciel. L’opération a consisté en un prêt d’une vingtaine de boîtiers à ces volontaires, habitant dans différents secteurs du Parc. Des mesures de qualité du ciel ont pu être recueillies en grande quantité (1476 mesures) tout en impliquant la population dans le projet et en créant un esprit communautaire.

Le dispositif NINOX² développé par le bureau d’étude Dark Sky Lab³ a de son coté permis d’enregistrer en continu les valeurs (1 valeur/minute en moyenne) qui correspondent à la luminosité du fond du ciel nocturne.
Au total, 19 sites ont été désignés sur le territoire, en donnant la priorité au centre du Parc pour participer à la définition de la zone cœur.

Ciel d’exception et tourisme

Les objectifs sont aujourd’hui de préserver son observation en limitant la pollution lumineuse, mais aussi de la rendre accessible à tous en sensibilisant les visiteurs et habitants aux enjeux de la « nuit ».  En effet l’activité touristique sur le Parc est basée sur le tourisme de nature, les visiteurs habituels viennent profiter du calme et de la fraîcheur de cet espace préservé. Le Parc souhaite aujourd’hui mettre en place des sites d’observation du ciel afin de réguler et canaliser le flux de visiteurs nocturnes et de manière à garantir la meilleure expérience possible d’observation du ciel étoilé sur le territoire dans les lieux les plus adaptés pour le faire.

L’éclairage public

Un inventaire et une analyse de l’éclairage public ont été réalisés : le parc d’éclairage public est principalement composé de sodium haute pression (SHP) (73%) qui a l’avantage d’avoir une température de couleur basse (chaude plus respectueuse de la faune nocturne) et de LEDs (11%). 85% des communes pratiquent l’extinction nocturne, 2% n’ont pas d’éclairage et 13% des municipalités ne pratiquent pas encore l’extinction ou la donnée est manquante. 28 communes du territoire sont aujourd’hui labellisées « Villes et villages étoilés » par l’ANPCEN (Association national pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne), ce qui participe à la dynamique d’exemplarité.

Au regard de l’inventaire de l’éclairage public et du plan de gestion de l’éclairage de la RICE Millevaches, des préconisations ont été énoncées  :

> Réduire la consommation d’énergie (et des dépenses !) par la diminution de la puissance des sources lumineuses

> Réduire la pollution lumineuse par l’adaptation de l’orientation des flux lumineux

> Préserver la biodiversité en adaptant la température de couleur des sources lumineuses

> Travailler en adéquation avec les activités humaines pour une meilleur maîtrise de la temporalité de l’éclairage, avec, notamment, la mise en place d’une coupure minimale de 6 heures par nuit et/ou d’une saisonnalité de l’extinction (non allumage de mai à septembre).

> Faire un état des lieux du matériel non conforme et obsolète et analyser la pertinence de chaque point lumineux, son utilité et son emplacement.  Cette réflexion se fait à l’échelle de plusieurs points lumineux afin d’obtenir une cohérence globale, en lien avec la trame noire⁴.

Une planification de la rénovation des points lumineux est proposée sur les 10 prochaines années permettant la mise en conformité et la réduction progressive de la pollution lumineuse, la réduction des consommations énergétiques et le respect de la biodiversité nocturne. La priorité est portée sur la zone cœur de la RICE Millevaches.

Biodiversité

Le Parc est un réservoir de biodiversité et la présence d’espèces menacées (par la pollution lumineuse et autres sources de pollution) est représentative de la qualité de son environnement. Avec la prise de conscience des effets de la pollution lumineuse sur l’environnement, il reste des problèmes à résoudre. Il faut envisager la mise en place au niveau communal d’outils de préservation à une échelle plus fine pour rendre la démarche cohérente. Des travaux ont démarré pour y remédier, notamment par la recherche d’une « trame noire⁴ » qui cherche à assurer la libre circulation des espèces nocturnes en fonction des espaces éclairés à l’aide de corridors écologiques. Un travail a débuté sur les amphibiens en analysant, suite à une phase terrain, les différences entre les lieux éclairés et les lieux sombres.
L’objectif est de définir l’impact de la pollution lumineuse sur les espèces les plus sensibles.

Sensibilisation et éducation

La sensibilisation et l’éducation aux enjeux de la nuit, et plus généralement à l’environnement, sont une mission essentielle pour préserver les caractéristiques naturelles qui font sa spécificité. Des animations, des événements, et parfois même des éléments de programmes scolaires sont adaptés en fonction des thématiques et permettent de sensibiliser grands et petits. Une centaine d’événements liés à la nuit ont été organisés par le Parc depuis sa création.

L’eime de la nuech

Le Parc a sous-titré son projet RICE avec du vocabulaire occitan : RICE Millevaches, l’eime de la nuech. Cela signifie l’esprit / l’âme de la nuit. En effet, la culture est un élément important qui se transcrit dans les patrimoines, les paysages, les traditions mais aussi dans le sentiment d’appartenance et d’attachement à la montagne Limousine.
Différentes actions ont déjà vu le jour pour mettre en mouvement le territoire autour de cette thématique au travers des savoir-faire comme le partenariat avec la Cité internationale de la Tapisserie d’Aubusson pour une exposition « hors les murs ». Aussi, s’appuyant sur la langue occitane, il s’agit de faire revivre des veillées traditionnelles en couplant contes et légendes du Limousin et observations nocturnes. Une résidence d’artiste sur le thème de la ressource « nuit » s’est clôturée en février 2022 au Centre International d’Art et du Paysage (CIAP) de Vassivière.

A ce jour, la RICE Millevaches est à la fois une reconnaissance, des préconisations à suivre et un cadre assurant la dynamique de réduction de la pollution lumineuse. Des communes ont d’ores et déjà mis en place des actions de réduction au travers de la suppression de points lumineux, d’une plage d’extinction nocturne plus grande ou encore des soirées de sensibilisation en partenariat avec le Parc. L’histoire ne fait donc que commencer.