L’objectif d’un projet d’espace public paysager écologique est de concilier qualité de la réponse aux nombreux enjeux écologiques existants (sols, eau, biodiversité, pollution, déchets) et qualité du paysage créé, en termes d’esthétique et d’usages. Ne pouvant présenter ici l’ensemble de l’ouvrage, nous avons choisi de faire un focus sur deux des sept domaines d’enjeux – « sols » et « faune, flore » – et d’insister sur l’importance de raisonner conception et gestion ensemble.
Préserver le rôle déterminant des sols
La protection des sols ne fait pas l’objet d’une réglementation spécifique. Cette absence ne doit pas masquer le rôle crucial qu’ils jouent pour l’activité humaine et la survie des écosystèmes : production de biomasse et de matières premières, stockage, filtration et transformation d’éléments nutritifs, de substance et d’eau, fourniture d’un support au développement de la biodiversité, constitution d’un réservoir de carbone ainsi que conservation du patrimoine géologique et archéologique.
Elle ne doit pas masquer aussi leur fragilité. On qualifie, en effet, le sol de ressource non renouvelable dans la mesure où les processus de dégradation sont potentiellement rapides – quelques années ou décennies – alors que les processus de formation sont extrêmement lents – plusieurs milliers d’années. Mieux connaître les caractéristiques d’un sol ainsi que ses usages passés permet de déterminer les actions à mener et de faire des choix très différents comme préserver un sol existant ou le reconstituer.
Ainsi, en préalable à un projet d’aménagement, la réalisation par des spécialistes d’une cartographie des sols fertiles est très utile et permet, d’une part, de zoner la place des infrastructures et, d’autre part, d’identifier les matériaux disponibles en déblais remblais pour reconstituer des sols et si besoin importer des matériaux terreux fertiles supplémentaires. En fonction de l’historique et des risques pré-supposés, un diagnostic des pollutions est nécessaire, pour adapter les propositions d’aménagements et de remédiations éventuelles.
On gardera à l’esprit que la haute valeur agronomique d’un sol n’est pas un objectif à rechercher systématiquement. A des sols dits « pauvres » correspondent des cortèges floristiques et faunistiques intéressants qu’il peut être utile de favoriser en veillant à ne pas utiliser d’amendements.
En présence de sols existants de bonne qualité, le travail du concepteur consiste à les préserver. Pour cela, il veille, entre autres, à ne laisser aucun sol à nu (sauf pour raisons écologiques justifiées), à réaliser un plan de nivellement limitant les phénomènes d’érosion, à éviter les remaniements trop importants conduisant à déstructurer les sols et les compacter, à limiter au maximum les revêtements de sols imperméables, à vérifier la qualité sanitaire des sols et, enfin, à prévoir une organisation de chantier la moins impactante possible.
Cette phase chantier est une étape particulièrement délicate dans la mesure où les dommages occasionnés sur les sols peuvent être irrémédiables.
Les sols sont sensibles au tassement que peuvent générer les engins de chantier. Ce tassement induit une dégradation du drainage et du fonctionnement biologique des sols. Le chantier sera organisé de telle sorte que soit défini un plan de circulation des engins établi en fonction des sensibilités du site. De plus, seront respectées les bonnes conditions météorologiques d’intervention afin de n’intervenir que lorsque les sols sont ressuyés (interruption de chantier pour cause de pluie et de gel).
Concernant la reconstitution de sols, la problématique de raréfaction de la terre végétale et des granulats naturels ainsi que les potentialités d’utilisation de matériaux recyclés de substitution conduisent à l’étude de nouvelles solutions. Le programme « Siterre » 2, mené par Plante & Cité, a pour objectifs de définir et de caractériser les matériaux les plus prometteurs en substitution à la terre végétale et granulats de carrière, de formuler les matériaux sélectionnés en mélange et, enfin, d’étudier l’évolution de sols construits à partir des mélanges.
Favoriser la biodiversité (flore et faune)
La biodiversité recouvre l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie ainsi que toutes les relations et interactions qui existent, d’une part, entre les organismes eux-mêmes, d’autre part, entre ces organismes et leurs milieux de vie.
En milieu urbain, les espaces publics paysagers sont souvent considérés comme d’importants vecteurs et supports de biodiversité, aux côté des espaces privés que sont les jardins, les boisements.
Les écologues et les sociologues qui travaillent sur les trames vertes urbaines s’interrogent sur la manière de repenser les valeurs qui fondent les relations homme-nature, sachant que la biodiversité s’inscrit dans une trajectoire. La trajectoire d’un écosystème en écologie détermine les itinéraires possibles d’évolutions en fonction des pressions (évènements, actions de pilotage). L’état de référence des écosystèmes urbains n’existe pas réellement. Ces écosystèmes anthropisés sont pilotés ou délaissés par les hommes et dépendent donc des relations homme-nature. L’enjeu de l’aménagement écologique est d’orienter cette trajectoire vers un état souhaité qui reste à inventer en prenant en compte les interactions entre espèces du grand territoire au jardin.
A l’échelle du site de projet d’espace public paysager, les différentes options prises au moment de la conception (préservation des espèces et habitats présents, protégés ou non, choix des espèces végétales et choix de leur agencement spatial…), du chantier (mesures de protection de la faune et de la flore) et de la gestion auront des influences majeures.
Concernant les plantations, le propos du guide est de composer avec la diversité des végétaux, horticoles, indigènes, spontanés. L’histoire de l’horticulture et celles des jardins sont intiment liés et l’acclimatation des végétaux ainsi que la sélection variétale ont offert aux jardiniers et aux paysagistes des palettes végétales diverses.
Dans ses choix, le concepteur veillera à choisir la plante adaptée aux conditions environnementales, à la configuration de l’espace et au projet de paysage souhaité permettant de tendre vers les objectifs de gestion écologique suivants : pas d’arrosage (après les premières années d’installation de la plante), pas d’utilisation de produits phytosanitaires (à l’exception des organismes de lutte obligatoire) et pas de pressions excessives sur le milieu par des plantes à trop fort pouvoir de colonisation entraînant des efforts de gestion importants par les jardiniers.
Raisonner ensemble conception et gestion
Tout espace public paysager est façonné par les gestes des jardiniers, réalisés au quotidien, années après années. Il apparaît essentiel de les associer en amont du projet. Leur témoignage et leur avis enrichissent la démarche du concepteur. Leur implication dans la phase de conception permet de jeter les bonnes bases d’une gestion ultérieure tenant compte des enjeux écologiques et du parti-pris paysager.
Pour mieux anticiper et planifier la gestion d’un site, rédiger un plan de gestion différenciée est un outil essentiel. Il permet de regrouper dans un même document toutes les opérations d’entretien prévues selon les strates de végétation et les usages. Il est ainsi souhaité que le commanditaire passe commande auprès du concepteur d’un plan de gestion.
De même, des missions complémentaires de maîtrise d’œuvre par rapport à la mission de base afin de pouvoir suivre un projet bien au-delà de la réception des travaux sont-elles vivement encouragées : suivi des végétaux, suivi du plan de gestion et adaptation de l’ouvrage, visite annuelle du site, séances de formation des jardiniers… à chaque projet peuvent correspondre des formules particulières.
En effet, après la date de la réception de l’ouvrage, le projet continue à évoluer en fonction de la reprise des végétaux, des choix de gestion, des usages pressentis ou inattendus des habitants, des incidents liés aux aléas climatiques… En créant ainsi les conditions pour que le concepteur puisse intervenir dans cette troisième étape, on lui offre la possibilité de proposer, en accord avec le commanditaire et les jardiniers, toutes les adaptations du projet jugées utiles tout en respectant son esprit initial.
Aucune recette pré-établie n’existe pour aboutir à un projet de qualité. Celui-ci compose avec l’histoire du lieu, ses usages actuels et souhaités, les objectifs du commanditaire, les qualités et contraintes en présence… La réponse apportée par chaque équipe de conception tire sa force du lieu et de ses potentialités pour proposer une structure de paysage et une vision de son évolution dans le temps grâce à une gestion écologique.
Lien vers « Conception écologique d’un espace public paysager – Guide méthodologique de conduite de projet »
Ce guide a été publié avec le soutien financier de l’Interprofession Val’hor, de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques dans le cadre du Plan Ecophyto en Zones Non Agricoles (ZNA), du Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la Forêt (MAAF) et du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE).
1 Ce guide méthodologique se nourrit des échanges, entre 2012 et 2014, d’un groupe de travail interdisciplinaire rassemblant une dizaine de professionnels de la ville et des paysages aux profils variés – paysagistes, écologues, experts techniques – issus des milieux de la maîtrise d’œuvre, de la maîtrise d’ouvrage (Villes de Nantes, Paris, Angers) et de ses conseils (CAUE), des entreprises du paysage (Jardins de Gally, UNEP) ainsi que du milieu de l’enseignement et de la recherche (Agrocampus Ouest, ENSP Versailles-Marseille, ENSNP Blois). Une trentaine de contributeurs ont également enrichi le guide en partageant leurs expériences autour de projets, partout en France : expériences d’élus, de gestionnaires publics et privés, de paysagistes concepteur libéraux ou de bureau d’études de collectivités, d’écologues et de spécialistes des sols.
2 Quelques unes des études de Plante & Cité en lien avec le sujet :
ECOJARDIN – Référentiel de gestion écologique des espaces verts
SITERRE – construction de sols fertiles à partir de matériaux de recyclage issus de la ville (2010-en cours)
Référentiel Trame Verte Urbaine (2012-2013)
VEGDUD – rôle du végétal dans le développement urbain durable (2007-2014)
Enherbement des espaces sablés (2019-2012)
VEGEPP – aménagement et choix des végétaux des ouvrages de gestion des eaux pluviales de proximité (2013-2014)
ACCEPTAFLORE – acceptation de la flore spontanée en ville (2009-2011)
FLORILEGES – volets « rues », « prairies urbaines » et « toitures » (2012- en cours).