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Vassivière Utopia 

repenser l’intervention paysagère en milieu rural

La rupture des liens avec le vivant, le manque de cosmogonies et la crise de la sensibilité que la société occidentale subit aujourd’hui m’a amenée en tant que directrice d’institution artistique à réorienter notre action. L’urgence n’est plus de défendre l’art comme discipline mais plutôt de travailler ensemble pour que l’imaginaire, le sensible et l’expérimentation soient partagés à tous les niveaux de la société, notamment dans les projets d’aménagement.

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Nous le faisons avec l’École du Jardin Planétaire / Licence professionnelle « Aménagement paysager : design des espaces anthropisés » à Limoges et avec le Laboratoire Passages de l’Université Bordeaux-Montaigne. Nos résidences d’artistes et de chercheur.se.s créées en 2012 dans le Château de l’Île permettent d’interroger par la présence artistique le contexte des espaces naturels protégés, en lien avec d’autres initiatives rurales à l’échelle translocale.

 Transformant le modèle du parc de sculptures dont le Centre international d’art et du paysage était issu, je me suis tournée vers des œuvres éphémères, des propositions ouvertes à réactiver et des interventions écologiquement « passives », limitant volontairement l’ajout d’objets extérieurs, telle que l’installation Dehors de Liliana Motta (2017). Pour échapper au « hors-sol » d’une île qui tend vers la zone de loisirs, l’équipe est allée à la rencontre de la population, d’abord par des interventions d’artistes dans les écoles (projets 5 artistes, 5 communes en 2014 et 3 artistes, 3 communes en 2016), puis par une exposition-parcours en plein air d’œuvres de la collection du Cnap à réactiver dans six villages (Transhumance, 2017).

 Le programme de commandes paysagères et architecturales dans l’espace public rural Vassivière Utopia (2018-2020) financé par la Caisse des Dépôts marque une nouvelle étape, en positionnant davantage le Centre d’art à l’écoute des désirs de neuf petites communes rurales de 50 à 2500 habitant.e.s : Beaumont-du-Lac, Eymoutiers, Faux-la-Montagne, Peyrat-le-Château, Royère-de-Vassivière, Saint-Martin-Château… Grâce à des appels à projets annuels, nous avons eu la chance de travailler avec des collectifs de paysagistes et d’architectes dont l’approche de la nature et la méthode participative nous transforment. Tout en répondant à des besoins d’aménagement, nous risquons des formes radicales et audacieuses pour un territoire rural ouvert aux alternatives.

Marianne Lanavère, directrice du Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière

Trois équipes de concepteur.trice.s reviennent sur leur expérience Vassivière Utopia.

La Fauvette

le Bureau baroque, à Faux-la-Montagne, 2019

Les derniers bouleversements mondiaux indiquent qu’aujourd’hui, il faut changer notre manière d’habiter la Terre.

Le Plateau est un des rares territoires où certains sont déjà prêts, ou en tout cas, se posent sérieusement la question.

Est-ce parce son paysage est particulièrement marqué par l’instrumentalisation de ses ressources ? Ou parce qu’à défaut de couverture réseau et de services publics il faut apprendre à se débrouiller autrement ?
Est-ce parce qu’il accueille une population si bigarrée qu’elle crée un creuset intellectuel et citoyen unique ? Ou parce qu’il s’est vu attribuer l’étiquette de projet alternatif de société ?
Est-ce parce qu’un vent de résistance y persiste encore ? Ou parce que son hyper-ruralité en fait d’office un contre-modèle de la logique de rentabilité ?

Nous répondons à l’appel à candidatures, sans d’autres souhaits que de participer au débat.

Nous venons avec nos bagages. Nos mains de fabricants, nos têtes d’architectes ou plus simplement de citoyens engagés.
Nous ne sommes pas omniscients. Nous décidons de tisser un réseau vécu et non théorique, pour faire de cette résidence un temps d’enrichissement mutuel.

À Faux-la-Montagne, nous commençons par rencontrer les habitants, les élus, les associations, les commerçants, les différents usagers du village.
Nous sommes saisis par leur dynamisme exceptionnel. 

La commune identifie des lieux, dans le bourg, sur lesquels nous pouvons intervenir. 
Il apparait que la meilleure intervention se situerait dans tous ces endroits en même temps.
Nous décidons donc de créer une structure mobile.
Un objet qui soutient la dynamique citoyenne d’entraide et d’autogestion des habitants de Faux-la-Montagne.

Elle permet de comploter, débattre, rigoler : de se rencontrer pour s’organiser et mener un projet commun.
C’est une salle municipale, mobile, collective, multi-activités.
Elle peut servir une heure, un jour, ou une semaine.
Elle est simple à utiliser, à réparer si besoin, et elle se déplace à la main.
Elle n’est jamais au même endroit et elle est colorée pour être joyeuse et sympathique.
Elle est fabriquée sur le Plateau avec des artisans et savoir-faire locaux. 

C’est La Fauvette.
Un petit objet migrateur qui s’installe aux beaux jours dans nos paysages humides.
Parfois, il faut être patient pour l’apercevoir déployer ses ailes.
Parfois, il faudra revenir.

© rafaël trapet
02 – © le bureau baroque

Un jardin dans la forêt

les espaces verts, à Masgrangeas, Royère-de-Vassivière, 2019

Pour Vassivière Utopia, le Centre d’art de Vassivière nous a demandé de réaliser une œuvre dans l’espace public rural de Royère-de-Vassivière. Alors on a choisi de s’installer dans la forêt, sur le territoire de la commune. On pense qu’il est important de se rappeler que la forêt peut être un espace public, notre espace commun.

Sur le Plateau de Millevaches, la forêt n’est pas une petite question. C’est une montagne à la tradition forestière récente mais très présente, de nombreux résineux ont été plantés à partir des années 1950. C’est une histoire complexe et un paysage qui concerne tous les habitants du Plateau, sensibles aux questions d’aménagement et de gestion. Notamment parce que beaucoup des paysages qui les entourent sont exploités, les forêts mais aussi le lac, géré par EDF. Alors pour nous, s’y installer, modestement, c’ était vouloir capter un bout de cette histoire, s’y frotter et provoquer des réactions.

On nous a guidées sur les terrains du Conservatoire du Littoral dans une forêt de feuillus gérée par le Syndicat du Lac de Vassivière. On n’est pas loin des forêts de résineux. Celles qui produisent du bois mais où les oiseaux ne vont plus vraiment. Au bout d’un ancien chemin creux enfriché, on est tombées sur un bosquet de houx qui assombrissait tout et plus encore. On est entrées dedans et on a découvert deux grands chênes magnifiques. C’est là, au milieu du houx et aux pieds des chênes, qu’on a choisi de s’installer.

Pour demeurer dans cette forêt on a décidé d’y faire un jardin, c’est un moyen d’y habiter. On a retrouvé beaucoup de sensations liées à l’enfance, quand la forêt devient notre maison, notre terrain pour ouvrir les imaginaires. On a délimité une parcelle et ménagé un intérieur en repoussant ces immenses bosquets de houx sur les bords. Puis on a donné aux deux chênes toute leur place. De là sont apparus des sorbiers, des petits hêtres, des fougères et un jeune sapin. On a trouvé une place à chacun.

Avec nous, on a des outils à main, nos deux corps et puis c’est tout. On fait à notre mesure et avec ce qui est là, rien ne sort et rien ne rentre de la parcelle. On observe, on prend soin, on réagit, on improvise. On jardine la forêt. Petit à petit on dessine un espace organisé, comme un animal qui sélectionne minutieusement ce dont il a besoin pour agencer son terrier. La forêt nous devient familière, puis on parle de moins en moins, on s’intègre.

Le jardin est entretenu, pendant deux ans au moins, le temps de Vassivière Utopia. Le cantonnier vient régulièrement et des voisines veillent sur lui. Et puis, à l’entrée, on a écrit une lettre aux promeneurs et laissé des outils pour inviter à s’adonner au plaisir de tailler le houx et balayer le sol de la forêt. Cet été certains visiteurs ont poursuivi le travail et souligné de nouvelles pousses. Nous avons aussi eu la visite d’un sanglier-jardinier dont nous avons conservé les traces, un labour aux contours nets dans un creux du jardin.

Avec le temps, le houx va regagner du terrain, le jardin va s’estomper, il ne restera que des lignes bien trop droites pour être honnêtes et le sentiment étrange qu’il s’est passé quelque chose.

En jardinant, on a fait émerger un lieu, un espace commun où se retrouver en pleine forêt. Plusieurs rendez-vous ont déjà eu lieu pour parler de gestion des paysages, d’archéologie d’un territoire. On y a vu un solo de clown de Léa Genet et dégusté les œuvres boulangères de Benoît Brissot.

On a ouvert un espace d’où l’on peut regarder la forêt autrement, avec un peu de distance tout en étant en plein milieu. Pour nous ce jardin est une invitation à prendre part, même modestement, à la gestion des espaces qui nous entourent, à entretenir une plus grande familiarité avec le vivant. N’oublions pas que nous sommes tous jardiniers, du forestier à la brebis, du promeneur à l’élu communal. Osons ménager le monde à notre mesure, formons les espaces verts !

Moment 03

GAMA+BIANCHIMAJER, à Quenouille, Peyrat-le-Château, 2019

Le format de la résidence nous a donné envie d’aborder le projet comme un processus plutôt qu’une finalité. Nous nous sommes mis dans la peau de chercheurs, décomposant notre approche du site en trois moments, séparés les uns des autres par des périodes blanches. Nous souhaitions travailler sur le rapport entre l’homme, le paysage et les dynamiques naturelles. Comme une danse à trois, notre attention s’est portée sur les éléments constituant du paysage de l’arrière-pays de l’île de Vassivière.

Il y a d’abord eu le Moment 01, la rencontre avec le lieu, Quenouille, lieu dit de la commune de Peyrat-le-Château. Nous avons découvert l’architecture vernaculaire intacte de ce village rue, traversé les banquettes de pierres sèches, arpenté les Tumulus, ces formes circulaires en pierres de granit disposées sur les crêtes, rencontré les habitants, qui luttent contre les ruines et la fermeture des paysages. Nous avons parcouru les chemins de randonnée et constaté les mutations rapides qui ont radicalement modifié le paysage en quelques décennies. La lande pâturée a fait place aux boisements denses et hauts de feuillus et la futaie de conifères a fragmenté les paysages en fragilisant l’équilibre naturel en place.

Le Moment 02, le temps de la réflexion, a produit de longs échanges, des débats, des hésitations. La parcelle communale qui nous a été proposée est située dans un replat. Récemment défrichée, elle est entourée par un boisement de chênes et une futaie de résineux. Elle témoigne de la mosaïque de paysages de ce territoire rural. Le sol y est épais, profond, il présente une teinte qui s’éclaircit à mesure que l’on creuse et que l’on se rapproche de la roche-mère jusqu’à devenir du sable caillouteux. À l’instar des Tumulus disposés sur les crêtes, nous avons souhaité interpeller le randonneur par la mise en œuvre d’une forme parfaite dans le paysage, une forme parfaite mais éphémère puisqu’elle témoignera du processus de transformation des paysages.

Le Moment 03 est le temps de la mise en œuvre du projet. C’est aussi le titre de l’installation puisque Moment 03 a entamé le processus lent de transformation de ce paysage. L’homme et le paysage se situent dans un rapport de dualité. Soit l’homme maîtrise le paysage, soit le paysage reprend ses droits sur l’intervention de l’homme. Partant de ce constat, nous avons creusé un cercle parfait dans la prairie, pour défaire la matière paysage, la dévoiler dans son épaisseur et ses strates, en écho au passage des hommes qui marquent le territoire. Ce cercle intervient comme élément perturbateur dans un système vivant et appelle au dialogue. Il met le projecteur sur la richesse et la diversité de ce milieu vivant et invite les passants et les habitants de Quenouille à s’asseoir pour observer ces dynamiques naturelles et prendre conscience de ce qui se joue ici : la fabrication autonome d’un nouvel extrait de paysage.

 

 

Glossaire :

Le Centre international d’art et du paysage

Dans un paysage marqué de manière invisible par l’exploitation des ressources naturelles (production hydroélectrique, industrie forestière) et le développement touristique, le projet du Centre international d’art et du paysage s’appuie sur les atouts d’un territoire rural peu peuplé mais connu pour son tissu associatif et son activisme. Trois expositions par an dans le Centre d’art présentent des sculptures et installations d’artistes reconnu.e.s en écho à des enjeux écologiques, tandis que les résidences d’artistes et de chercheur.se.s au Château permettent un terrain d’expérimentation collaboratif en lien avec des savoir-faire locaux. Parallèlement, le Centre d’art renouvelle le modèle du parc de sculptures dont il provient à travers des commandes paysagères et architecturales dans les villages alentour (Vassivière Utopia) et en portant sur son territoire le programme Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France. Il travaille actuellement à la création d’un parcours d’œuvres autour du Lac de Vassivière croisant les pratiques forestières et artistiques.

www.ciapiledevassiviere.com

Pour référencer cet article :

Marianne Lanavère, le bureau baroque, les espaces verts, Gama+Bianchimajer, Vassivière Utopia , Openfield numéro 14, Décembre 2019