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Mon premier cahier

Je pourrais remonter loin, peut-être dans mon enfance, lorsque j’écrasais de la terre pour en faire de la couleur, je comptais les cailloux, je fabriquais des colliers de marguerites. De là est née, en partie sans doute, mon envie de transmettre aujourd’hui le plaisir de ces petites aventures ordinaires que j’avais vécues. Pour transmettre aussi mes acquis de paysagiste, ce regard sur l’environnement qui m’entoure. Et sans doute aussi mon goût pour les carnets de voyage…

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©Amélie Janikovà

Mon premier cahier « můj první zápisník » est un ouvrage issu de mon parcours particulier, celui d’une paysagiste qui est partie vivre en République tchèque, qui a eu là-bas trois enfants et qui les regarde grandir dans ce monde actuel.

Je pourrais remonter loin, peut-être dans mon enfance, lorsque j’écrasais de la terre pour en faire de la couleur, je comptais les cailloux, je fabriquais des colliers de marguerites. De là est née, en partie sans doute, mon envie de transmettre aujourd’hui le plaisir de ces petites aventures ordinaires que j’avais vécues. Pour transmettre aussi mes acquis de paysagiste, ce regard sur l’environnement qui m’entoure. Et sans doute aussi mon goût pour les carnets de voyage, cette façon de collecter des souvenirs d’expéditions de façon vivante et personnelle, et le plaisir de les feuilleter des années plus tard.

C’est aussi mon parcours en tant que mère ou comment mes fils, Jan, Josef et Tobiaš, m’ont fait réfléchir à notre rôle de parents. Vivant en République tchèque depuis maintenant 8 ans, j’ai pu bénéficier d’un long congé parental et j’ai pu ainsi être à leur côté, les observer, vivre ensemble tout en me posant la question de comment les accompagner au mieux et au quotidien dans leur exploration du monde qui les entoure.

Mes enfants ont eu l’occasion de fréquenter l’école de la forêt, dans la petite ville où nous habitons. Il s’agit d’une école où les enfants apprennent, dessinent, jouent dehors, toute la journée et par tout temps. L’école implique un investissement important de la part des parents. J’y ai ainsi contribué en cherchant à apporter mon côté créatif. C’est ainsi que j’ai commencé à rassembler des idées et à lister tous types d’activités au sein de la nature que je voyais ici où là, que je trouvais en partie sur internet, que l’on pratiquait en famille. C’est ainsi que naquit peu à peu le projet de ce cahier.

L’école de la forêt « vrběnka » a Valašské Klobouky ©Amélie Janikovà

Cet ouvrage part aussi d’un constat, celui d’une société moderne qui oublie et met entre parenthèses notre lien à la nature. Depuis la révolution industrielle, nous nous sommes peu à peu écartés de ce qui nous unissait à la nature. Les écrans prennent de plus en plus de place dans notre quotidien et la nature est de moins en moins présente dans le processus d’éducation des enfants. J’observe pourtant, ici en République tchèque, une nette différence avec la France quant à la place de la nature dans les écoles, mais elle reste toutefois considérée bien souvent comme un obstacle ou une contrainte. Pourtant, comme le mentionne Sarah Wauquier, psychopédagogue et éducatrice nature : « Grâce à l’exploration directe avec tous les sens et des expériences positives dans la nature, nous pouvons développer une relation profonde avec tout ce qui vit. Une relation affectueuse avec la nature est la base nécessaire pour un rapport responsable avec notre environnement. Ce que nous aimons et respectons, nous aimerons aussi le protéger et le conserver». En partant de cette idée, j’ai voulu par le biais de ce livre que les enfants puissent développer un attachement particulier à la nature.

Ainsi est né mon premier cahier/muj prvni zapisnik, destiné aux enfants de 3 à 6 ans, de ce désir de remettre la nature au centre de notre éducation, profiter du bienfait de celle-ci dans le développement de l’enfant.

La nature est le fil conducteur de cet ouvrage. Il se base sur elle en tant que source multiple d’apprentissage : les enfants peuvent ainsi apprendre à compter, dessiner, développer leur sens et leur dextérité physique. Elle stimule leur curiosité, leur créativité, leur soif d’apprentissage.

Le livre contient plus de 80 activités à réaliser à la maison ou en plein air : des cartes de nomenclature sur la faune et la flore, la fabrication d’un herbier, l’invention de poésies, des exercices de graphomotricité, des mathématiques, des postures de yoga, des recettes de cuisine.

Můj první zápisník / Mon premier cahier ©Amélie Janikovà 

La question du temps structure ce livre.

Le temps ou la notion de cycle. La vie et la nature sont faites de cycles, et il m’a semblé important de leur donner du sens. Le livre est ainsi divisé en quatre parties, les quatre saisons. Le livre s’ouvre sur l’automne, c’est aussi le temps de la rentrée scolaire et l’enfant remplit petit à petit son « journal » au fil de l’année. Il est alors invité à suivre les changements, à comprendre les spécificités de chaque saison en approfondissant ses perceptions sensorielles et ses connaissances.

Extrait de l’automne et l’été indien / Extrait d’une page de l’hiver : « qui est passé part la ? » Reconnaitre différents types d’empreintes dans la neige, les compter. « Dans la neige blanche, on voit tout… Sais-tu qui est passé par là et ce qu’il a fait ? Combien d’empreintes reconnais-tu ? Compte et entoure le bon chiffre ». ©Amélie Janikovà 
Le printemps : « les giboulées de printemps… qu’est ce que c’est ? » « Les giboulées de printemps, appelées en tchèque “aprilove počaci” correspondent à un temps printanier qui change rapidement : il pleut puis le soleil se met a brillé et ainsi de suite… parce que c’est une météo qu’on retrouve surtout en avril, on l’appelle “le temps d’avril”/l’été : “les prairies fleuries”. Trouve dans cette image : 2 papillons, 1 coccinelle, 1 abeille, 1 mouche ». ©Amélie Janikovà 
Enfants remplissant leur carnet ©Amélie Janikovà 

Le temps ou un travail de rituels. Les rituels prennent toute leur importance dans le livre. Les civilisations ont besoin de repères temporels pour comprendre le temps qui passe, besoin, entre autres, d’exprimer symboliquement le passage des saisons. Dans la nature, l’enfant a lui aussi besoin de ces repères pour pouvoir évoluer en toute confiance, que cela soit dans l’espace évidemment, mais aussi dans le temps. Les rituels offrent un appui à l’enfant. Dans le livre, il y a par exemple celui de la confection de la « morena», une tradition tchèque qui marque la fin de l’hiver et célèbre l’arrivée du printemps. La morena est une poupée que l’on confectionne en paille ou branchage, puis que l’on brûle et jette à l’eau au début du printemps. Elle emporte avec elle l’hiver.

« La Morena est le symbole de l’hiver. À la fin de l’hiver, les enfants confectionnent une poupée de paille que l’on appelle « morena». Ils vont ensuite en procession avec cette poupée de paille en chantant vers la rivière. Puis ils la brûlent et la jettent à l’eau pour faire partir l’hiver et appeler la saison suivante.
Fait ta propre Morena et appelle le printemps !! » / Jan, Josef et Tobiaš avec leur Morena ©Amélie Janikovà 

Le temps à travers la répétition. Inspiré de la méthode Montessori, le livre met un point fort sur l’importance de l’expérience et de la répétition. Ainsi, si certains exercices, activités ou bricolages sont encore difficiles pour l’enfant, il pourra les reprendre l’année suivante. La répétition se trouve aussi dans des activités récurrentes chaque saison. En effet selon l’enseignement Montessori : ‘l’enfant renforce l’apprentissage par la répétition de son travail et les sensations intérieures positives. L’expérience et la répétition sont fondamentales pour l’apprentissage.’

Voici deux pages que l’on retrouve à chaque début de saison. Ici l’Automne / Page de gauche, reconnaitre quel type de temps est associé a une saison donnée : “entoure les images correspondant à cette saison” / Page de droite , apprendre à s’habiller suivant les saisons : “Comment t’habilles-tu en automne ? “À la fin du cahier, découpe les habits appropriés à cette saison et colle-les au personnage. Tu peux ensuite les colorier”. ©Amélie Janikovà 

Le temps ou l’idée du souvenir. Le livre est conçu comme un journal de bord, il devient par la suite ‘un objet mémoire’. On y dessine, colle, découpe et on le façonne chacun à sa manière. Il reste, tel un album, un souvenir matériel de l’enfance.

Le temps, comme source de développement. On accorde du temps à l’enfant pour qu’il puisse satisfaire sa curiosité naturelle et construire sa compréhension du monde. Toujours inspiré de la méthode Montessori, le livre encourage l’enfant à observer la nature, par des activités pratiques où il est invité à observer, à manipuler et à expérimenter afin de découvrir le monde par lui même. L’enfant prend son temps et va à son rythme. Les connaissances ne sont pas apprises, mais intégrées, la compréhension n’est pas seulement cognitive, mais aussi intuitive. De nombreuses illustrations permettent à l’enfant de comprendre les activités par lui même et favorisent son autonomie.

Le temps, enfin, en tant que notion météorologique. Les phénomènes météorologiques font partie du quotidien, mais les enfants y prêtent souvent peu attention. Via de nombreuses activités liées au temps qu’il fait, à l’observation et à la manipulation, l’enfant est sensibilisé à l’environnement. Comme le précise les pédagogues de l’association pollen : ‘L’enfant peut alors s’apercevoir que les phénomènes météorologiques banals qu’ils subissent tous les jours peuvent aussi être regardés avec attention : lorsqu’on multiplie et précise ses observations on peut approfondir ses connaissances ‘.

Par exemple, le livre aborde en automne la notion du vent :

“LE VENT — Apprenons sur les éléments naturels” : le vent est invisible et n’a pas de couleur, mais il laisse des traces de sa présence… Voici quelques exemples. Essaye de les décrire à haute voix et donne d’autres exemples. Le vent n’est pas solide, on ne peut pas le toucher, mais on peut le sentir…
Que ressens-tu quand le vent souffle ? Il te chatouille ? te caresse ? 
Raconte… Le vent est fort ! Il peut déplacer et pousser des choses (feuilles, bateau, moulin…)
Maintenant, essaye de souffler comme le vent : mets quelques feuilles dans la paume de ta main et souffle… puis essaye avec des plumes, puis des pierres… Que remarques-tu ? ©Amélie Janikovà 

J’espère que le livre apportera une petite pierre à l’édifice quant à la construction d’un enfant d’aujourd’hui, d’un adulte de demain, d’une personne responsable et soucieuse du monde qui l’entoure.

 

Note / Bibliographie :

http://eveil-et-nature.com/
http://ucimesevenku.cz/
http://terezanet.cz/cz
http://www.lesnims.cz/
http://institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?article407
http://www.avenirsocial.ch/sozialaktuell/991152_av_21_005_005.pdf
Les Enfants des Bois, Sarah Wauquiez

Pour référencer cet article :

Amélie Janíková, Mon premier cahier, Openfield numéro 10, Décembre 2017