Posted inPortraits / Témoignages

Journal de bord d’un service espaces verts

L’objet de ce texte est de partager la vie d’un service espaces verts dans une petite ville sans donner de nom ou de lieu pour sortir des préjugés géographiques, sociaux et idéologiques. J’ai eu besoin d’écrire, besoin d’expliquer notre façon de faire, d’expliquer le jonglage entre les discours politiques, les grandes théories et la réalité technique, financière et sociétale.

Posted on

Ville lambda comme il y en a beaucoup en France, cette grosse bourgade (entre 10 000 et 15 000 habitants) a été victime de la désindustrialisation des années 90. Celle-ci se poursuit encore aujourd’hui malgré un frémissement d’activités ces derniers temps au niveau de l’intercommunalité. Composée d’une population vieillissante, populaire, énervante et attachante, la ville est composée de logements sociaux nombreux, de zones pavillonnaires ainsi que d’un cœur de ville à bout de souffle. La population baisse un peu tous les ans au profit des communes voisines de l’intercommunalité.

Nourrir

Nourrir nos habitants.
Ce n’est pas notre mission première.
Quelle est notre mission ?
Entretenir, tailler, planter, semer, griffer, désherber, souffler, tondre, élaguer, couper, arroser…
Voilà notre métier.
Face à toutes ces tâches, pas beaucoup de temps pour faire autre chose.
Maintenant on nous demande de rendre les espaces à leurs usagers.
Comment faire ?
Les nourrir ou les faire réfléchir à leur alimentation !
Nous avons plusieurs pistes : les jardins familiaux, les jardins partagés et les derniers nés que sont les vergers communaux et les jardins en ville, c’est à dire l’intégration de cultures comestibles au sein des espaces et jardins publics..

Les jardins familiaux, anciennement jardins ouvriers, permettaient un complément de revenu pour bon nombre de famille. Aujourd’hui, même si ce n’est pas une généralité, ils sont devenus une zone de repos pour le week-end. Pied à terre, espace où on peut prendre l’air, table pour l’apéro… plusieurs utilisations détournées en sont faites. Comment leur en vouloir ? Quand on est enfermé dans un appartement toute l’année et surtout par les temps qui courent. Le suivi du jardin est parfois difficile. Les promesses d’entretien sont renouvelées à chaque fois qu’on les contacte pour leur signaler. Difficile de les exclure.
Créateur de lien social ? Pas toujours facile quand vient le jour de partager la facture d’eau et qu’untel à « arroser plus que moi… et en plus en plein soleil. »
Pourtant l’envie de continuer, voir d’agrandir ces jardins est tenace. Continuer, persévérer, car même si ça ne marche pas tout le temps, la majorité des jardins est bien entretenue et ils sont importants dans la vie des gens.
Nourricier ? Très peu, mais les gens gardent un contact avec la nature et c’est déjà bien.

Les jardins partagés sont très à la mode : pas un élu, pas une demande de subventions sans son jardin partagé.
Belle idée en théorie. Semer, travailler, planter, désherber… et récolter ensemble. Qui ne serait pas d’accord avec cette façon de voir les choses en ces temps où les liens doivent être resserrés. On veut des tables pour l’apéritif, des cabanes pour ranger les chaises et aussi les outils, des bancs pour se reposer… La liste est longue, voir infinie, le budget conséquent et le temps d’installation important. Une fois mis en place, aïe, il faut travailler, ou trouver des volontaires pour le faire. Les adhérents sont beaucoup plus rares et donc on demande à notre service de donner un coup de main. On donne le coup de main. Ça aide, mais il faut encore travailler. Si le projet n’est pas mené par une association active, les belles idées s’envolent et au lieu de créer du lien social, il désolidarise les gens.
Une des solutions envisagées est d’avoir une personne du service pour faire le lien et assurer un suivi régulier, les adhérents viennent principalement pour se ressourcer, s’imaginer qu’ils ont un jardin pour s’évader.
Se nourrir avec cet outil n’est donc pas facile et pas gagné. Mais l’idée est belle et si l’autogestion n’est pas l’idéale, les solutions de gestions plus pragmatiques peuvent être envisagées.

Les jardins en ville : petits nouveaux du panel du renouvellement de notre métier. Proposer des légumes aux habitants. Il faut l’intégrer dans notre emploi du temps.
L’idée est venue après le premier confinement. On intègre quelques légumes dans nos massifs, on sent que les gens aiment et accueillent bien l’idée. On plante un potager dans notre centre de production et on distribue les légumes gratuitement par le biais d’une épicerie solidaire. L’étape suivante a été franchie cette année avec des espaces publics consacrés à ces usages : un ancien massif d’annuel reconverti en potager, un nouveau jardin nourricier crée dans certains quartiers, la création d’un jardin réservoir au centre de production. Un seul de ces espaces a été vandalisé.
Les agents cueillent, mettent en caisse, les habitants se servent. Et ça fonctionne. Les gens attendent et les caisses se vident très vite. Ils cueillent les aromatiques. Je ne sais pas ce qui se passe après, mais j’espère que cela crée des discussions et des envies de cuisiner.
Nourrir, non. Mais on sent monter un intérêt, une envie de fraîcheur, un autre regard se pose sur notre métier.

Les vergers : une solution répondant à plusieurs demandes d’élus.
Il faut se réapproprier les espaces verts, créer du lien, nourrir, mais aussi une vieille envie personnelle d’en planter sans n’avoir jamais eu l’autorisation.
Pour la première année, nous avons planté surtout des pommiers, des poiriers et des cerisiers. En lien avec un producteur local, le choix a été fait entre variétés connues et rares. Il est bien trop tôt pour faire un bilan, mais nous continuerons cette année avec aussi des espèces moins communes chez nous comme le kaki ou le figuier…
Les arbustes à petits fruits s’invitent dans la liste. Plantés à la sortie d’une résidence pour personnes âgées ou dans une haie, nous en intégrons volontiers un peu partout. Même constat, il est trop tôt pour faire un bilan. Quoi qu’il en soit, c’est une satisfaction pour nous, car les espaces que nous entretenons ne sont plus uniquement destinés aux besoins des chiens. Nous espérons à l’avenir que les gens se serviront et peut-être nous apporterons un bout de tarte aux pommes ou un pot de confiture.
Nourrir pas tout de suite, mais sûrement un jour.

Notre métier change et même si nous n’avons pas la prétention de nourrir nos concitoyens, nous sommes là pour faire un peu le lien entre la nature et nos cités bétonnées, nous sommes présents pour faire découvrir notre savoir-faire et nos jardins. Il nous faut pourtant rester pragmatiques, car entre la communication, les budgets et les grandes idées, nous devons continuer à faire fonctionner le service et répondre aux différentes demandes.
 

 

Pour référencer cet article :

Vitech, Journal de bord d’un service espaces verts, Openfield numéro 18, Février 2022