Posted inPortraits / Témoignages

Lettre de Dimitri Boutleux

Chargé de mission en agence d'urbanisme à Rennes.

Rennes, le 12 avril 2012
C’est à bord du TGV reliant Rennes à Lille que je me livre à l’exercice de la synthèse d’une tranche de vie. Quoi de mieux pour évoquer la question du paysage que le wagon d’une rame de train parcourant les campagnes de l’ouest.

Posted on

En toile de fond, je vous propose les collines molles de Mayenne, sur une bande son de pluie providentielle s’étirant sur les vitres du train. L’aventure du paysage commence pour moi après le BAC lorsque je pars voyager à l’étranger afin de mieux me connaître. Ma rencontre à San Francisco avec le paysagiste John Merten est comme un révélateur. Je découvre, étonné, ce métier de l’espace recoupant les domaines du végétal et de l’expression artistique. Dès lors, je décide d’intégrer l’école de Blois où je pense avoir reçu une formation unique et avoir vécu des moments exceptionnels. Au terme de ce cursus blésois, je retourne à San Francisco où j’ai l’opportunité de pouvoir travailler pour RHAA*, une des plus anciennes agences de la baie. Au terme de cette première expérience, je retourne en France et pose mes valises à Rennes pour rejoindre l’agence d’urbanisme.

L’intégration des paysagistes au sein des agences d’urbanisme est assez récente. Ces agences ont été créées pour aider les responsables élus des agglomérations à définir et mettre en oeuvre la politique d’aménagement urbain qu’ils entendent mener, avec l’aide de l’Etat. Elles interviennent en assistance à maîtrise d’ouvrage dans différents secteurs en analysant et préconisant des axes de projets à développer aux différentes communes qui en font la demande. Ces études sont gratuites pour les communes faisant partie des agglomérations adhérentes à une agence.

Les agences d’urbanisme ont, pour la plupart, un statut d’association où se retrouvent, autour des collectivités impliquées, l’Etat et les autres partenaires publics du développement urbain. Les 53 organismes sont regroupés au sein d’une fédération, la FNAU* !
Elle organise chaque année une “rencontre nationale ” centrée sur un thème d’actualité et ouverte à tous les responsables politiques et professionnels compétents sur le sujet choisi.

Véritables outils de réflexion commune aux élus d’une même agglomération, les agences participent à la concertation entre les Collectivités Locales et les Administrations, elles constituent une expérience originale par leur structure même, leur mode de fonctionnement et l’évolution des pratiques d’urbanisme qu’elles ont favorisées.

Le réseau technique de la FNAU rassemble 1600 professionnels de l’urbanisme, ancrés dans les réalités locales. Transports, économie, droit, habitat, environnement, sociologie, architecture, paysage… sont les principales compétences qu’elles regroupent.
Les missions des différents membres de l’AUDIAR* sont établies par un programme de travail rédigé en coopération avec Rennes Métropole qui recueille les souhaits d’études des 37 communes de l’agglomération.

Les missions du paysagiste en agence d’urbanisme sont quelque peu différentes de celles des bureaux privés.
Les différentes études menées interviennent dans la plupart des cas lors des révisions des documents d’urbanisme (PLU et bientôt SCoT). Le paysagiste présente un diagnostic paysager de la commune ainsi que des scenarii d’évolution de la forme urbaine. L’équipe en charge de l’aménagement de la commune est le principal interlocuteur.

Le fruit des réflexions menées se traduit la plupart du temps par un cahier de prescriptions et d’enjeux qui sera le support d’écriture des documents juridiques rédigés par les services des Métropoles.

Aujourd’hui, mes missions concernent principalement le renouvellement urbain. Je travaille en association permanente avec un géographe et une architecte. Pour une personne ayant travaillé dans le secteur privé, je dois avouer qu’il m’a fallu un temps d’adaptation assez important pour me sentir à l’aise dans ce type de structure. Mes collègues sont économistes, statisticiens, sociologues, environnementalistes… Vous conviendrez qu’il est plus difficile de bâtir un jargon commun que dans une agence de paysage classique. Lors des premières réunions de coordination où chacun évoque l’état d’avancement des études dont il est en charge, le vocabulaire employé par mes collègues m’était encore étranger. Qu’est-ce que les « chiffres-clefs », le « baromètre », le centre de ressources et sa « base INSEE » ? sans parler des futurs GTADD * programmés avec quelques COPILs*. Il est également difficile de se trouver légitime lorsque l’on crayonne à longueur de journée alors que certains sortent des bibles de « stat’s » ou passent leurs journées en réunion avec les instances politiques locales.

Aujourd’hui, je suis en mesure d’affirmer que le travail d’assistance à la maîtrise d’ouvrage est passionnant. Il permet de mettre en relation préalable des données qui permettront de mieux définir les enjeux de planification d’une ville ou d’une agglomération. Ce qui m’a le plus frappé, c’est le rôle de l’argent dans la mécanique de construction de la ville. Lorsque l’on rencontre un élu, le sujet porte souvent sur ce qui restera de l’enveloppe communale disponible après avoir prélevé les différents budgets alloués à l’entretien du parc d’équipements existants, aux écoles, à l’entretien des espaces verts et aux préemptions qui permettront éventuellement d’envisager un renouvellement urbain.
Alors que la ville d’hier comptait essentiellement sur l’industrie pour construire sa richesse, on assiste aujourd’hui à une véritable mutation de la construction sociale et économique urbaine. La ville contemporaine capitalise à travers les individus et les richesses qu’ils seront capables de redéployer sur la ville. Il s’agit bien sûr de leurs impôts mais aussi de l’offre culturelle qu’ils feront vivre ou produiront. L’un des derniers moyens de se distinguer est le « branding ». La ville n’est plus uniquement un lieu où une centralité, c’est aussi une image de marque qui définit un style de vie. Le meilleur exemple dans l’Ouest est Nantes, qui rayonne sur tout l’ouest avec le succès de son renouveau urbanistique, mais aussi grâce à la troupe du Royal de Luxe. Quant à Lyon, la marque déposée “ ONLY Lyon*” tente de regrouper ses habitants et visiteurs autours d’un slogan montrant une réelle ambition autour d’un symbole fort.

Mais à l’heure des métropolisations, la part de construction identitaire ainsi que les compétences communales sont de plus partagées avec les autres communes de l’agglomération. Le développement économique, l’aménagement de l’espace communautaire, la politique de la ville… Tous ces domaines sont largement gérés par les techniciens de la métropole en charge de ces thématiques.
Pour le paysagiste qui travaille en relation avec ces techniciens, il lui faudra faire le deuil du dessin de détail, car là n’est pas le sujet. Le plan, la coupe, la modélisation restent des outils utilisés au quotidien pour permettre aux élus de mieux se figurer l’articulation ou la hauteur des futurs bâtiments.

De la parcelle à une vision plus englobante des entités paysagères locales, le travail d’urbaniste paysagiste demande une certaine adaptabilité à la maîtrise des différentes échelles territoriales.

Avec la médiatisation du programme de recherche BIMBY*, certaines communes sont soucieuses d’expérimenter et d’être aux côtés des habitants qui souhaiteraient se lancer dans la vente d’une partie de leur parcelle ou dans l’extension de leur foyer. Le potentiel de cette filière dite, libre, est énorme, mais les élus n’ont que peu de droit sur les projets des particuliers à partir du moment ou ils respectent le PLU, il est donc important d’encadrer cette dynamique.

Actuellement, je finalise une étude de grand territoire sur le paysage de l’Axe Rennes/Saint-Malo. Les Pays de Rennes, et de Saint-Malo, ont souhaité une expertise concernant la qualité du paysage entre ces deux villes, afin d’identifier les éventuelles menaces qui pourraient peser sur ces paysages. Le département d’Ille-et-Vilaine est un des plus dynamiques de l’ouest et le paysage est un des facteurs d’attractivité. Cette considération du paysage comme support de développement durable d’une région est une valeur qui semblerait faire son chemin.

Parfois je me considère comme un défricheur au service des politiques paysagères. Il faut être conscient que les grosses flèches traduisant les enjeux d’aménagement prendront parfois près de dix ans avant de se voir traduits dans l’espace soit par un cheminement, une percée visuelle ou un passage en cœur d’îlot. À l’heure des politiques de densification des tissus urbains, le rôle du paysagiste est d’autant plus essentiel qu’il viendra apporter ses compétences en matière de programmation, les pratiques et le partage de l’espace. Les questions du vis-à-vis, de la transition entre les domaines publics et privés, sont des sujets délicats où tout reste à inventer. Je me réjouis de la naissance de liens récents entre paysagisme et sociologie au sein de l’agence. C’est à mon avis un des enjeux majeurs de la construction de la ville. Le vivre ensemble est sûrement la plante la plus difficile à faire pousser dans certains contextes.

Nous pourrions conclure sur l’évolution du métier de paysagiste. Je ne me serais jamais imaginé faire du conseil aux élus en entreprenant la formation de l’école de Blois. Ces dix dernières années, les thèmes concernant l’écologie et l’urbanisme ont mieux été communiqués auprès du grand public. L’enjeu de la qualité de l’espace urbain et l’élaboration de l’image de la ville comme espace d’expression des gouvernances a fait émerger le paysage comme une matière urbaine incontournable.

 

Glossaire :

RHAA: Royston Hanamoto Alley & Abey www.rhaa.com
FNAU: Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme www.fnau.org
AUDIAR: Agence d’Urbanisme et de Développement Intercommunale De l’Agglomération Rennaise www.audiar.org
PLU: Plan Local d’Urbanisme
SCoT: Schéma de cohérence territorial
CoPil: Comité de Pilotage
GTADD: Groupe de Travail Aménagement et Développement Durable
BIMBY: Build In My BackYard bimby.fr
ONLYLYON: www.onlylyon.org

Pour référencer cet article :

Dimitri BOUTLEUX, Lettre de Dimitri Boutleux, Openfield numéro 1, Janvier 2013