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Lettre d’Arnaud Fâche

Témoignage et réflexions dans l’attente de l’acceptation de l’accord de la COP21, 18 mois après le diplôme.

La confusion entre la science et le mouvement de pensée (ou politique) est commune, tous deux désignés par le mot « écologie » dans le vocabulaire usuel. Cependant, ce n’est pas ici du mouvement écologiste dont je souhaite parler, ni même de la science qu’est l’écologie, mais d’un entre-deux que j’ai commencé à aborder lors de mes études secondaires et qui n’a jamais cessé de m’intéresser depuis. Là où l’Homme se situe avec son environnement, la place et le rôle qu’il endosse en tant qu’espèce ainsi que, ayant conscience de ses actions, le recul qu’il prend – ou non – pour évaluer son impact et agir en fonction.

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Paris, début juillet 2015.

Ce sont plus de 2200 participants, principalement des scientifiques, qui se réunissent pour débattre et échanger sur les données à notre disposition. Le titre de ce colloque est « Notre futur commun sous l’influence du changement climatique ». Le fruit de cette rencontre est un document de synthèse, à l’intention des chefs d’État qui se sont réunis en décembre dernier pour la COP21. L’objectif étant d’offrir un message uni de la part de la communauté scientifique mondiale – en complément des rapports du GIEC. La capacité de se réunir, pour discuter d’une situation qui concerne l’ensemble de l’environnement. D’aucuns critiqueront l’apparente inutilité de tels rassemblements, dont le seul mérite certain reste d’éveiller les consciences. Aujourd’hui, nous attendons la fin avril 2016 pour voir émerger les acceptations et ratifications de l’accord de Paris, par au moins 55 pays présents à ce rassemblement, qui assurera son entrée en vigueur. Là encore, l’absence de contraintes formelles et de pénalités juridiques soumet cet accord à la bonne volonté de ses signataires… qui peuvent s’en détacher quand bon leur semble. La problématique du changement climatique est révélatrice de notre manque de prise de conscience au quotidien face à l’utilisation actuelle de notre milieu. La conscience de notre milieu et des interactions entre les êtres en présence. Comment tout cela s’organise-t-il ? Nous ne disposons pas des outils pour comprendre l’ensemble du système, nous ne disposons que d’un point de vue unique issu d’un champ de prospection réduit s’il est comparé à l’échelle de notre planète.

La question suivante a émergé : le paysagiste que je suis peut-il avoir un rôle plus marqué que le citoyen ? Si j’admets que je ne peux concevoir seul l’ensemble du système car trop complexe et trop étendu, puis-je me faire le relais d’un message par une pratique réfléchie à mon échelle ? La réponse en commençant ma formation de paysagiste était candide – il était évident qu’un professionnel disposant de connaissances en écologie soit sensible à l’écologisme. Vision quelque peu erronée de la réalité du métier.
Si aujourd’hui les aménageurs courent après les certifications environnementales, les collectivités préconisent l’arrêt de l’usage de pesticides, c’est bien qu’un premier pas en avant a été fait. Cela reste trop souvent, cependant, de l’ordre du marketing, de l’étiquette verte que l’on souhaite avoir afin d’améliorer son image – à des fins commerciales ou politiques. Combien sont les entreprises qui ne regardent pas la provenance des plantes, qui ont séjourné en serre et ne sont ni adaptées au climat régional ni au sol ? Qu’à cela ne tienne, nous répondra-t-on, nous avons amendé le terrain. Oui, avec de la terre végétale grattée à la surface de terres arables à quelques kilomètres de là. Adieu spécificité locale, bonjour uniformisation des formations végétales dans les projets.

Mon inquiétude a grandi au fil de mes études. L’aspect esthétique et fonctionnel primant sur l’ensemble des autres aspects du projet, notre rôle se réduit alors à l’aménagement de l’espace, oubliant ainsi que le paysage, c’est avant tout le pays – pays qui a existé, qui dispose de sa vie propre, n’en déplaise au paysagiste qui y appose son regard et sa vision pour le futur. Notre observation est lacunaire, car notre échelle d’observation l’est. Échelle temporelle d’abord. La maîtrise d’oeuvre doit agir sur le territoire, préférablement rapidement, car le souhait de la maîtrise d’ouvrage ne saurait souffrir d’un délai dans la réalisation de ses desseins. La problématique des mandats et de la vision des projets, au-delà de cette échéance ridicule au regard de la vie d’un arbre, a été maintes fois abordée, mais il est toujours bon de la rappeler.
La dimension spatiale ensuite. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : oeuvrer ! Et par oeuvrer, on entend transformer, modifier, bref, faire quelque chose de visible et de notable. Remercions au passage les récompenses attribuées à tous les projets qui laissent une véritable empreinte sur le territoire, qui encouragent les landmarks que l’on espère indéfectibles, pour toucher les générations futures. Quel message est alors transmis ?

Au-delà du simple aménageur, je conçois mon métier de paysagiste avant tout comme un observateur de ce qui est, un rêveur de ce qui pourrait être. Admirateur de ce qui existe déjà, je m’efforce de m’inscrire dans une démarche de sobriété volontaire et de frugalité heureuse. Puisqu’il est ici question de lier l’acte à la parole, je ne pouvais rester dans une simple conception pour mon métier, il fallait passer à la réalisation de ces idées. « Comment ? À quelle échelle ? » Des réponses à ces deux questions ont commencé à émerger alors que je portais un regard interrogateur sur ces premiers mois en tant que paysagiste diplômé.

Le choix du site et de la problématique pour mon diplôme reflétait déjà ce raisonnement de l’économie des moyens. Le marais breton-vendéen, ce lieu oublié de toute l’effervescence qui règne sur l’ensemble du trait côtier vendéen et de Noirmoutier. Des milliers d’hectares gagnés sur la mer, dont le paysage révèle l’histoire d’une succession d’activités : marais salants, bassins piscicoles, production maraîchère de subsistance, fourrage, cultures céréalières, ostréiculture, pêche et aujourd’hui production d’électricité. Tout un marais sous le niveau marin actuel conservé hors d’eau par une haute et longue digue – je pouvais ici relier une question paysagère locale à une problématique planétaire, celle de la montée des eaux. Un site emblématique à mes yeux ! La réponse offerte lors de mon diplôme a ainsi remis en question toute l’installation humaine sur ce territoire, en proposant une pédagogie suivie d’une mise en pratique qui s’étendrait de façon croissante et étalée sur les 70 prochaines années.

J’ai par la suite eu le plaisir de passer par le Parc naturel régional de Brière, puis Livradois-Forez. Le projet de ce dernier, pour les 12 années de sa charte en vigueur, est : « Inventer une autre vie respectueuse des patrimoines et des ressources du Livradois-Forez, où frugalité se conjugue avec épanouissement. » Impossible de ne pas y entendre l’écho de ce que j’avais recherché pendant mon diplôme. Le jeune paysagiste que je suis a ainsi eu la chance d’être confronté à des problématiques de grande ampleur face à des acteurs très divers. L’application locale de principes adoptés pour tout un parc est mise à l’épreuve des volontés politiques ; pédagogie et écoute, négociations et compromis ont été au coeur de mon quotidien.

Parallèlement, depuis l’année de diplôme, j’ai bénéficié du soutien de mes professeurs pour un aspect plus académique du paysage : la recherche universitaire. Au travers du cursus dispensé à l’école, mais aussi en dehors, avec la participation à la rédaction d’articles de recherche et à la conception de documents de présentation pour des colloques où la thématique paysagère était abordée. La perspective d’un avenir dans la recherche se dessinant plus précisément, une opportunité d’enseignement s’est présentée en Norvège pour un atelier d’une semaine à l’académie de Tromsø, qui dépend de AHO à Oslo. Le thème développé était la phytoremédiation, ou comment traiter la pollution des sols par les plantes, en y associant une conception paysagère réfléchie. Questionner, puis transmettre : l’association de la recherche et de l’enseignement est heureuse pour qui envisage d’être acteur dans la progression des savoirs.

De retour dans ma région natale, un troisième aspect de la pratique de paysagiste s’est réaffirmé : l’expression graphique et plastique. Sous-tendant l’ensemble des projets, le dessin et la photographie sont des media qui n’ont été qu’outils pendant mes années d’étude. Dans cette démarche interrogatrice, j’ai voulu mettre à l’épreuve cet usage instrumental pour laisser place à une expression plus personnelle. Les choix ne sont ainsi plus dictés par une réponse à une problématique et un usage – la pratique paysagère comme art appliqué au territoire, mais bien par l’inscription de mon travail en rapport à d’autres, la qualité esthétique et, simplement, le plaisir de produire une pièce. Retrouver une liberté dans la création graphique ou, plus pragmatiquement, « dessiner pour moi », m’a permis de porter un autre regard sur mon travail et sa potentielle portée.
De là naît l’envie d’allier mes travaux à mes convictions, pour toucher un autre type de public.

Mon activité actuelle, comprendre ici mon activité professionnelle, se rapproche plus du jardinier concepteur. C’est un choix pleinement assumé ; je travaille sur des terrains que je peux embrasser du regard en un coup d’oeil, la commande publique n’est pas dans mes objectifs. L’échelle du jardin particulier est celle que j’ai préférée pour appliquer mes principes et toucher mes concitoyens, suivant l’idée bien connue mais bien peu appliquée que chaque geste, si minime soit-il, compte. Je me déplace à vélo, je travaille principalement à la main. À l’heure où tous les états du monde se sont mobilisés pour trouver un accord mondial sur le climat, je persiste à croire que le paysagiste peut se faire le messager d’une écologie réfléchie dans sa pratique d’aménageur.

Je n’en oublie pas pour autant recherche et expression plastique ; la première continue de jalonner mon approche théorique du métier pour nourrir ma pratique et la faire évoluer, la seconde me permet d’explorer le champ graphique des possibles dans le dialogue sur les jardins et le paysage. Pour l’une comme pour l’autre, il me reste encore à imaginer les façons de les appliquer pour les mettre au service de « l’écologie d’entre-deux ».
L’équilibre entre ces trois aspects – pratique, recherche et activité plastique, est lui aussi à inventer. Le métier aux multiples visages que j’ai décidé d’embrasser m’a amené à découvrir un vaste ensemble de domaines liés à la notion de paysage. De nouvelles questions, issues de la problématique globale qui guide ma réflexion, émergent chaque jour. Toutefois, par le travail et la pratique d’une palette choisie de compétences, je peux affirmer qu’à ce jour, ma seule certitude, c’est mon désir et besoin de voir avancer cette « écologie de l’entre-deux ».

 

Note / Bibliographie :

Pour aller plus loin…
> AHO : https://aho.no/en
> Belard P., 2014. Why Architects Still Draw. The MIT Press.
> Delbecq D., Foucart S., 2015. Entretien avec Dominique Bourg. « Nous assistons à une érosion
dramatique du vivant ». Le Monde Hors-Série, Climat d’Urgence, p. 6-13.
> http://www.lemonde.fr/cop21/article/2015/10/28/pierre-rabhi-la-cop21-ne-s-attaque-pas-auxsources-
des-desequilibres_4798622_4527432.html

> Documentaire vidéo : 2°C avant la fin du monde https://youtu.be/Hs-M1vgI_4A
> Rapport CFCC15 : http://www.commonfuture-paris2015.org/The-Conference/Outcome-
Statement.htm

> http://amisdutransformateur.over-blog.com/ Expérience de re-création d’un sol et d’une végétation
à partir d’un terrain industriel.
> http://www.demain-lefilm.com

Pour référencer cet article :

Arnaud Fâche, Lettre d’Arnaud Fâche, Openfield numéro 6, Février 2016