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Benoit Lelaure

Benoit Lelaure est chargé de mission agriculture au sein de l’agence des Espaces verts. L’objectif global de sa mission est de garantir une prise en compte efficace des questions agricoles au sein de l’AEV, lors de chacune de ses acquisitions foncières et notamment pour la création de Périmètres Régionaux d’Intervention Foncière (PRIF). Il pilote des études de territoire afin de définir des projets agricoles, puis en assure la gestion locative en dialogue avec les agriculteurs.

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L’Agence des Espaces Verts (AEV) est un organisme public chargé de mettre en œuvre la politique environnementale de la région Ile-de-France sur son territoire. L’un des piliers de son action est de garantir le maintien de zones agricoles fonctionnelles et pérennes. En partenariat avec la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural), l’AEV pratique une veille foncière et acquiert, si nécessaire, des espaces agricoles situés dans la ceinture verte qu’elle loue à de jeunes agriculteurs pour des projets durables (circuits courts, productions biologiques). Les espaces périurbains en déprise agricole font l’objet d’une politique de reconquête volontariste (démarchage des propriétaires, acquisition, défrichage, recherche d’agriculteurs). L’AEV mène parallèlement un programme pédagogique de sensibilisation à l’agriculture dans les écoles primaires.

L’AEV est l’organisme qui a en charge de mettre en œuvre une politique (régionale) de conservation et de protection des espaces naturels. Les espaces agricoles sont inclus dans ces espaces dits « naturels ». La situation de votre démarche au sein de cette dynamique « conservatoire » vous semble-t-elle un paradoxe, sinon un frein dans la volonté de développer et de promouvoir plus globalement une agriculture périurbaine productive ?

Nous ne souhaitons pas créer un « conservatoire » de l’agriculture périurbaine. Nous ne sommes pas dans une démarche de « muséification » de l’agriculture, nous ne rêvons pas de fermes « à la Marie-Antoinette » ! La Région et l’AEV défendent le maintien et le développement d’une agriculture productive et économiquement viable et pour cela l’agriculture à besoin de terres. La volonté de protéger n’est pas antinomique avec la volonté de maintenir une agriculture productive. Le SDRIF insiste d’ailleurs sur l’importance de favoriser le maintien d’une agriculture vivante et dynamique. Il n’y a donc pas de paradoxe.

« Les espaces forestiers font déjà l’objet d’une protection forte […] Ce n’est pas le cas des espaces agricoles, globalement peu protégés par les documents d’urbanisme courants, et souvent en première ligne dans les projets d’urbanisation. » (Benoit Lelaure, sur le site internet de l’AEV ). Pouvez vous expliquer les mécanismes commerciaux et politiques qui entrent en jeu ? Préciser les limites des pouvoirs publics face aux marchés immobilier, industriel et commercial, notamment les cas où les intérêts agricoles ne sont plus exprimés ou écoutés ?

Les forêts sont mieux protégées car elles bénéficient d’un régime réglementaire plus fort (autorisation de défrichement, classement en EBC (Espace Boisé Classé), forêt de protection, Natura 2000). Socialement, il est aussi plus facile de faire accepter la destruction de terres agricoles en vue de la construction d’un lotissement par exemple que le défrichement d’un bois ou d’une forêt. Par conséquent, les élus s’aventurent rarement à proposer des projets d’urbanisation sur des zones boisées. Le marché foncier agricole est soumis à la loi de l’offre et de la demande. Il y a beaucoup de demande en Île-de-France et peu d’offre ce qui tire les prix vers le haut. Par ailleurs, le marché foncier agricole est soumis à la spéculation des propriétaires qui ont l’espoir de voir leur bien devenir urbanisable. Une terre agricole classée urbanisable peut voir son prix augmenter d’un facteur 100 ! Pour lutter contre l’envol des prix, l’AEV travaille avec la SAFER à la régulation du marché foncier. La SAFER peut faire jouer son droit de préemption, parfois procéder à des révisions de prix, afin d’entretenir un marché compatible avec la vocation agricole des terrains. Cette régulation est plus difficile sur les terres qui ont perdu leur usage agricole depuis plusieurs années. Les occupations illégales qui peuvent en découler concourent à donner une mauvaise image à ces terrains que les élus sont ensuite plus enclins à ouvrir à l’urbanisation pour les réhabiliter et limiter les nuisances.

Dans quelles limites pouvez-vous agir ? Quels sont les cas ou vous ne pouvez pas préempter, y a t-il des tractations commerciales qui vous échappent ?

L’AEV n’a pas de droit de préemption propre. Elle utilise celui de la SAFER ou celui des départements dans le cas des Espaces Naturels Sensibles (ENS). Comme tout système, il existe des moyens de le détourner. Ainsi, en matière de transactions foncières, nous n’avons aucune prise sur certaines donations déguisées ou sur les rachats de part sociales entre sociétés. Mais globalement on peut dire que depuis 20 ans, l’action conjointe de l’AEV et de la SAFER a été efficace. Les chiffres de l’évolution du prix du foncier dans les PRIF en témoignent. C’est la preuve qu’un outil contractuel peut être tout aussi efficient que des mesures règlementaires.

Dans l’élaboration des PRIF, comment les élus et autres acteurs font-ils leur choix entre vocation agricole et vocation de logement ou d’activité ? Par exemple dans le cas de terres enfrichées, délaissées par l’agriculture ?

Les choix à l’échelle communale sont tout d’abord orientés par les documents de planification supra-communaux (SCOT, SDRIF) puis par le PLU de la commune. La création d’un PRIF doit être en accord avec ces documents d’urbanisme. Un PRIF ne peut donc être instauré que sur les zones classées A ou N au PLU. Planifier à moyen terme l’usage des sols d’un territoire répond à des mécanismes complexes mêlant impératifs économiques, contexte géographique, situation sociale, enjeu politique, etc. Il est impossible d’expliquer précisément comment se font les choix car il n’y a pas de règle établie. Ce que l’on peut dire, dans le domaine de la protection des espaces ouverts, c’est que le choix de protéger une zone naturelle et/ou agricole plutôt qu’une autre se fait en intégrant de nombreux paramètres : taille des espaces concernés, rôle écologique (continuité, réservoir de biodiversité…), fonctionnalité agricole (circulation des engins…), qualités paysagères, fonctions environnementales (zones d’expansion des crues…), valeur récréative ou sociale (zones carencées en espaces ouverts…), fonctions économiques (bassin de production de légumes…). Le rôle de l’AEV auprès des élus locaux est de poser un regard nouveau sur l’aménagement du territoire, un regard orienté sous le prisme des espaces ouverts et des fonctions qu’ils assurent. En ce qui concerne les friches, l’AEV tente avant tout de lutter contre leur apparition en évitant le mitage de l’espace rural. Dans les zones où elles sont déjà présentes, nous cherchons à les acquérir afin de leur redonner une vocation agricole, paysagère, écologique. Mais ces terres en friche cumulent souvent de nombreuses contraintes : pollution, faible potentiel agronomique, accès difficile… ce qui décourage alors les agriculteurs à les investir.

 

Pour référencer cet article :

Paul Lambrechts, Benoit Lelaure, Openfield numéro 2, Juin 2013