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Jean Luc Sadorge

Les Parcs Naturels Régionaux

Dans le cadre de ce numéro sur la Loi, Openfield s’est entretenu avec Jean-Luc Sadorge, ancien directeur de la fédération des Parcs naturels Régionaux. Les PNR sont depuis leur création un outil puissant et efficace de protection des paysages, grâce notamment à leur entrée, à travers un article unique, dans la loi Paysage. Retour sur ce moment clé de leur histoire.

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D’après la petite histoire, que vous avez racontée lors du colloque du 12 juin 2023, les PNR ont été créés par un décret signé du Général de Gaulle dans sa voiture entre l’Élysée et l’aéroport d’Orly en 1967. « C’est bien, ça ! », aurait-il dit, voyant le texte présenté par son conseiller. Il aurait alors signé le décret dans la foulée, en place de son Premier ministre.
Pour autant, à leur création, les PNR relevaient alors d’un « droit gazeux », comment cela ?

JL Sadorge : Les Parcs naturels régionaux ont été inventés un an avant la signature du décret par le Général de Gaulle, lors d’un colloque organisé à l’initiative de la délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action régionale (DATAR) à Lure dans le Lubéron. Selon les participants, ce fut un moment de créativité extraordinaire, qui réunissait des acteurs de tous horizons, fonctionnaires, chercheurs, historiens, paysagistes, économistes, sociologues, géographes… De ces journées est né le concept de Parcs naturels régionaux « à la française », où, pour protéger l’environnement, il faut impérativement impliquer les habitants, en complémentarité des Parcs nationaux « à l’américaine » où l’on ne doit/peut ? Protéger la nature qu’en réglementant strictement toute activité économique. L’histoire nous montre que ces deux outils sont parfaitement complémentaires en fonction des réalités des territoires. On disait de nous que nous étions « du droit gazeux » car le contenu très qualitatif des chartes des parcs avait du mal à être traduit dans la vision très juridique qu’avaient les agents du Ministère de l’Équipement au travers des Plans d’Occupation des Sols (POS), les ancêtres des PLU.

Le massif des Alpilles depuis Eygalières, PNR des Alpilles © R SERANGE PNRA

Votre intervention dans le cadre de ce colloque revenait ensuite sur la manière « un peu clandestine » dont les PNR ont été introduits dans la loi Paysage voulue par Ségolène Royale. Pouvez-vous nous en refaire le récit ?

JL S : Tout a commencé en 1990, avec la mise à l’enquête publique du tracé de l’autoroute Nantes-Niort, qui traversait le Marais poitevin. Brice Lalonde, le ministre de l’Environnement alors en exercice au sein du gouvernement d’Édith Cresson et écologiste de la première heure, s’attend à ce que le Parc naturel régional donne un avis défavorable au projet. Or le syndicat mixte vote un avis favorable à l’unanimité. Contrarié par ce vote, le ministre décide la mise en chantier, en concertation avec les parcs et leur Fédération d’un texte de loi dédié aux Parcs naturels régionaux pour mieux préciser le dispositif. En 1992, en pleine élaboration du texte, le Gouvernement change, Ségolène Royal arrive aux affaires en temps que nouvelle ministre de l’Environnement. Dans un premier temps, elle reprend à son compte le texte en cours d’écriture, mais très vite son cabinet nous indique que, compte tenu des quelques mois qui restaient avant les élections législatives, la ministre ne pourrait présenter qu’un seul texte, la loi Paysage, au sein de laquelle un seul article serait réservé aux Parcs naturels régionaux. C’est ainsi que nous sommes passés d’un projet de loi de 30 articles à un article unique dans la loi Paysage ! Il a fallu beaucoup de discussions en interne et les conseils avisés d’un éminent Professeur de droit de l’urbanisme de la Sorbonne pour en établir le contenu…

Réserve naturelle régionale Marais de Brière, PNR  de Brière © T.Thudor

La loi fait ensuite l’objet d’un bras de fer entre l’Assemblée et le Sénat, ce dernier opposé à une partie du texte au nom du respect des lois de décentralisation. Le texte passera donc en commission mixte paritaire, avant d’être définitivement voté le 8 janvier 1993. Vous obtenez finalement deux choses qui vous semblent importantes : l’entrée des parcs dans la hiérarchie des normes du Code de l’urbanisme et la révision des chartes par les organismes de gestion des Parcs. Qu’est-ce que cela représentait d’important pour vous ?

 JL S : Cette loi a changé la vie des parcs : nous n’avions plus besoin de défendre la charte puisqu’elle le serait par le Ministère de l’Équipement. Le texte précise en effet que « les documents d’urbanisme (qui relèvent à cette époque du Ministère de l’Équipement) doivent être compatibles avec les orientations et les mesures de la charte ». En intégrant ainsi la charte dans la hiérarchie des normes, il appartient à l’administration de veiller à sa bonne application. Nous sortons du droit gazeux pour entrer pleinement dans le droit administratif !
Le second point était également important pour nous : si la loi n’avait pas apporté cette précision, en vertu du principe de parallélisme des formes1, ce sont les régions, à l’initiative de la création du parc qui auraient assuré la révision de la charte et pas l’organisme de gestion.

Paysage vu du ciel des étangs et prairies du Parc naturel régional de la Brenne » © Hellio-Van Ingen – PNR de la Brenne

Vous dites qu’au final, cette contrainte de n’avoir qu’un seul article a permis de rendre ce texte extrêmement puissant, qu’il a changé le cours et le fonctionnement des PNR, pourquoi cela ?

Sa grande force est sa concision et sa simplicité. Cet article de loi a permis de responsabiliser l’ensemble des acteurs puisque désormais : « l’État et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l’exercice de leurs compétences sur le territoire du parc ». Le contenu peut donc rester très qualitatif et permettre aux parcs de remplir pleinement leur mission, à savoir assurer le développement économique des territoires en faisant levier grâce à la protection et la valorisation de son patrimoine naturel et culturel. Le fait de renforcer les contraintes légales n’a pas été un obstacle, mais un atout.

Et aujourd’hui ? Quel rôle, d’après vous, peuvent jouer les PNR dans la lutte contre le changement climatique ? Sont-ils un outil encore puissant ?

Les parcs ont un rôle spécifique à jouer dans le domaine de la lutte contre le changement climatique et il s’agit d’une continuité par rapport à leur rôle dans la valorisation des paysages. En effet, l’agriculture, qui pèse 20 % des émissions de gaz à effet de serre n’a pas encore pris le virage vers la décarbonation. Or, non seulement l’agroécologie permet de baisser l’émission des gaz à effet de serre, mais elle fait partie de la solution, puisque les végétaux et les sols en bonne santé sont capables de stocker le carbone. Elle contribue également à l’enrichissement de la biodiversité. L’agroécologie est un moteur pour les paysages de qualité, qui sont eux même au cœur des chartes de parc. Ils sont un atout pour la décarbonation de l’économie des territoires et doivent jouer un rôle central vers la société « net 0 carbone ». Les parcs sont puissants car ils ont montré leur efficacité et leur capacité à mobiliser et à dynamiser les territoires ruraux. Ils doivent se positionner, en lien étroit avec les métropoles qui portent la transition urbaine, comme les innovateurs au service du monde rural décarboné du futur.

Vue depuis le Château de la Petite Pierre dans le PNR des Vosges du Nord, PNR des Vosges du nord © FPNRF.OP

 

 

Note / Bibliographie :

1.Le parallélisme des formes consacre une règle d’identité entre l’acte qui crée et l’acte qui abroge. Il est aussi dit « correspondance des formes » ou « symétrie des formes ». L’acte qui modifie ou abroge est dit « acte contraire ».

Pour référencer cet article :

Jean-Luc Sadorge, Jean Luc Sadorge, Openfield numéro 22, Décembre 2023