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Marc Claramunt

Marc Claramunt est gérant de la société Phusis, il est enseignant à l’Ecole du Paysage de Blois depuis sa création en 1995 et enseigne également depuis 2011 à l’Ecole d’Architecture et du Paysage de Lille. Il répond dans cet entretien à nos questions, dressant ainsi un état des lieux et des évolutions du métier de paysagiste

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Architecte-paysagiste est une profession récente. Depuis le début de cette profession telle qu’on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire à priori dans les années 60, quelles en ont été les grandes évolutions ? Est-il possible de faire une synthèse qui balaye ces années ?

Vaste question ! J’ai peur qu’à trop vite balayer, on laisse beaucoup de poussières … Premier point, cela fait près de 30 ans que j’entends seriner qu’on est une profession récente, comme une sorte de condamnation à l’éternelle jeunesse. Je pense qu’il y a un travail d’historiens qui reste à faire et à diffuser et qu’on trouvera sans doute des « filiations et des continuités » avec des figures plus anciennes comme, par exemple, JCN Forestier (1861-1930) ou Paul et André Vera (1881-1971), figures importantes de l’Art des jardins au moment des Arts déco. Pour l’instant, et comme souvent, il est plus commode de se revendiquer tout neuf et en totale rupture, c’est plus révolutionnaire et avant-gardiste, mais c’est en partie faux.

Les années 60 sont les années des Grands Ensembles et du triomphe du fonctionnalisme. Mais il y a des paysagistes pour planter les fameux « espaces verts », leur rôle est difficile, pas d’argent et des milliers de m3 de déblais à gérer… Il est de bon ton aujourd’hui de décrier systématiquement cette époque, or on peut (grâce notamment aux recherches de Bernadette Blanchon) se rendre compte que les paysagistes d’alors ont pu et su réaliser des projets dont beaucoup d’enseignements pourraient être tirés pour maintenant en matière de paysage et d’urbanisme.
Je crois qu’on a donné le surnom de « planteurs » à ces architectes paysagistes de ces Grands Ensembles. Le symbole de ces temps serait l’Olivier de Bohème qu’on plante alors beaucoup. Daniel Collin réalise le parc floral de Paris en 1964. Ce sont les plantes et leur mise en œuvre horticole qui caractérisent peut-être le plus la compétence de l’architecte paysagiste de cette époque. Et rappelons que le père de Jacques Simon (qui est lui-même le père spirituel de beaucoup de paysagistes) est forestier.

En rappel, les paysagistes d’alors sortent de l’ENSH, école nationale supérieure d’horticulture de Versailles qui forme des ingénieurs horticoles (comme Gilles Clément par exemple). Une section « Paysage » y avait été créée en 1945 par le Général de Gaulle dans le but de reconstruire les beaux sites de la France ravagés par la Seconde Guerre mondiale.

Jacques Chirac, ministre de l’Agriculture signe en 1975 le décret de création de l’ENSP, qui délivre le diplôme de « paysagiste dplg », mais l’école reste un établissement rattaché à l’ENSH et ne prendra son autonomie financière et administrative qu’après un long mouvement de grève en 1986. L’école de Versailles est dominée alors par deux grandes figures (et gueules aussi…) Michel Corajoud et Bernard Lassus. Les étudiants se répartissent en deux chapelles rivales et presque sectaires : l’atelier André Le Nôtre (d’obédience Corajoud) et l’atelier Charles-Rivière Dufresny (d’obédience Lassus)
En 1992, l’ENSAP de Bordeaux est créée et Isabelle Auricoste en est la figure de proue. L’ENSP de Lille ouvre en 2005. L’ENSNP de Blois est créée en 1995 à l’initiative de Chilpéric de Boiscuillé et Jean-Paul Pigeat.

Des écoles donc, avec un niveau de formation et des diplômes valant grade de Master. Mais 3 tutelles différentes : ministère de l’Agriculture, ministère de la Culture, ministère de l’Enseignement supérieur et une compétence gouvernementale, en matière de paysage, dévolue au ministère de l’Ecologie maintenant aggloméré à l’ex-ministère de l’Equipement qui change régulièrement de nom (ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports, et du Logement). C’est ce dernier qui recrute, à partir de 1993, les paysagistes conseils de l’Etat, au nombre de 136 aujourd’hui.
Paradoxalement, la filiation « agriculture » n’a pas été le marqueur principal et déterminant des paysagistes. Ce sont plutôt les questions urbaines et périurbaines qui prévalent et le métier se fait connaître par des projets sur les espaces publics. Les préoccupations du cadre de vie d’une population de plus en plus urbaine et les échecs d’une pensée raisonnée et maîtrisée des extensions urbaines font des paysagistes les grands raccommodeurs des tissus urbains mal-en-point. Presque seuls avec quelques architectes sur ce créneau, les paysagistes des années 80 et 90 ont des années plutôt prospères, celles d’un marché en expansion. Il est alors naturel qu’un jeune diplômé se lance immédiatement en montant son agence dès sa sortie de l’école. Les dégradations successives du contexte économique changent aujourd’hui la donne. De plus en plus d’autres professionnels de l’aménagement revendiquent des compétences analogues sur la conception des espaces publics (architectes, urbanistes, géomètres, BET VRD, …). Même si le nombre de paysagistes augmente considérablement (flux de 170 diplômés/an) et correspond à une demande sociale, force est de constater que l’exercice en libéral fait peur désormais car très difficile à garder. D’autres attitudes semblent se dessiner dans les années 2000, privilégiant un statut de salarié plus sûr et plus serein. On peut discerner ceux qui vont du côté du « public » auprès d’organismes et de collectivités territoriales et versent du côté de la maîtrise d’ouvrage et ceux qui vont du côté « privé » auprès de structures d’entreprise ou de gros bureaux d’étude. Dans les deux cas, la maîtrise d’œuvre (ou la démarche du projet de paysage) n’est pas sollicitée de la même manière, et, le parangon de l’exercice en libéral qui, (historiquement et plus ou moins consciemment) innerve les formations initiales peut paraître moins en phase avec la réalité des exercices professionnels actuels. Mais ça serait un autre débat… Il faut toujours et encore revendiquer une autonomie et une non-ingérence entre les pédagogies des écoles et le monde professionnel, à moins de vouloir inféoder l’un par l’autre et de transformer les écoles de paysage et de conception en écoles professionnelles… D’autre part, des débats et des échanges féconds entre écoles et professionnels restent encore à amplifier pour réfléchir sur ces questions. C’est, sans doute, la démarche de projet de paysage qui devrait être le fondement de nos compétences. Une bonne programmation de la maîtrise d’ouvrage, s’étayant sur une planification en amont prenant en considération des enjeux de paysage est évidemment nécessaire et réclame la mobilisation de compétences de professionnels aptes à saisir et comprendre ce que représente une telle démarche de projet.

Selon vous, s’est-il dessiné et se dessine-t-il encore une pensée et une pratique paysagistes françaises ? Quelle place occupent-elles par rapport aux autres pays, notamment en Europe ?

Il est toujours tentant de faire du chauvinisme… Les parcours et « traditions » de chaque pays seraient à analyser avec soin si l’on ne veut pas faire de caricatures. Il y a eu, et il y a, à l’œuvre des influences croisées des uns sur les autres. Disons que la démarche de projet et l’accent mis sur l’inventivité de la conception paysagère qui sont la marque de fabrique du paysagiste en France participent à la réputation d’une « pensée et d’une pratique paysagiste française ». Cette capacité et cette liberté de conception, d’être l’architecte (dans le sens de maître d’œuvre) de projets complexes sont reconnues en Europe.

Quelle est votre analyse sur l’état de la profession aujourd’hui en France ?

D’un point de vue de méthode, je ne suis pas sûr qu’il soit judicieux de demander à quelqu’un du « sérail » de faire une analyse de la profession qu’il pratique. Le risque est que la réponse soit davantage construite par des impressions personnelles que des réalités sociologiques tangibles. Il est dommage de ne pas avoir de données statistiques fiables et vérifiées sur notre profession. Les architectes paysagistes, via la FFP entre autres, réclament que les ministères de tutelle lancent un observatoire de la profession, mais cela tarde à venir.

Pour essayer de répondre quand même, on peut estimer qu’il y a environ 2 500 ou 3 000 architectes paysagistes en 2012 exerçant en France et qu’il sortira des différentes écoles supérieures en paysage françaises environ 170 professionnels diplômés. Le nombre de membres de la FFP est de 530 et le nombre de paysagistes conseils de l’Etat est de 136. L’exercice libéral, pourtant voie royale et « naturelle » semble de plus en plus compliqué, dans un contexte économique âpre et tendu. Les petites agences tirent la langue et les grosses structures semblent devenir à moyen terme la seule issue pour pouvoir résister, mais avec sans doute une façon d’exercer et de produire qui n’a plus grand-chose à voir avec mon exercice actuel, par exemple… La demande d’architectes paysagistes par les différentes collectivités territoriales semble se confirmer et s’accentuer. On pourrait dire en grossissant le trait que le profil de maître d’œuvre a moins la côte et que celui de la maîtrise d’ouvrage semble ouvrir des perspectives de travail plus porteuses. Mais il est encore possible d’être optimiste et d’envisager que cette spécificité de « penseur d’espace » soit de plus en plus reconnue comme nécessaire et utile pour construire la Cité. Peut-être y aurait-il à réfléchir davantage sur une nouvelle notion, celle de la « maîtrise d’usage ». Il est certain que les aspects de concertation des habitants, de projets participatifs, de démarches alternatives, etc. prennent de plus en plus d’importance et que le paysagiste, de par ce domaine si transversal que représente le paysage, devra intégrer de plus en plus cette dimension dans son activité professionnelle.

Quelles sont les nouvelles orientations qui semblent se dessiner? Est-ce que vous voyez dans la profession d’architecte paysagiste un renouvellement et si oui dans quels sens ?

Je pense que la montée des préoccupations environnementales et écologiques modifie le contexte professionnel des architectes paysagistes à venir. Il y aurait à peser le pour et le contre de cette évolution. La pensée de l’urbain et la conception de l’espace ne doivent pas passer au second plan au profit d’une pseudo-ingénierie « verte ».
La démarche du projet de paysage me paraît la spécificité à défendre, même si la tendance générale semble vouloir privilégier une scientificité à coup de biodiversité et autres trames vertes et bleues, il nous faut rester vigilants et toujours revendiquer la primauté de la conception et de la spatialisation. C’est la spatialisation d’une pensée au service des territoires et articulant avec qualité un programme sociétal qui doit être le cœur de nos compétences. Or, la pensée de l’espace et l’activité de la démarche de projet semblent de plus en plus dénigrées au profit de compétences techniques « déterritorialisées ».

Je pense aussi que le renouvellement d’une profession passe obligatoirement par la mobilisation de ses membres et leur enthousiasme à vouloir se saisir de l’espace de la « chose publique » pour animer un débat sur la question du paysage. Il y a certes des revendications propres à l’exercice professionnel – et que certains peuvent qualifier de « corporatistes » – à continuer de porter, mais c’est également par une capacité à susciter des débats et des réflexions sur le domaine du paysage que les paysagistes peuvent mieux se faire reconnaître.

 

Note / Bibliographie :

Marc Claramunt est paysagiste diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. Gérant de l’atelier Phusis, il est enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage de Blois depuis 1996 et dont il a été directeur de 2013 à 2018. Il enseigne également depuis 2011 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et du Paysage de Lille. Il a été président de la Fédération Française du Paysage et de l’Association des Paysagistes Conseils de l’Etat et à fondé la revue Pages Paysages avec Catherine Mosbach.

Pour référencer cet article :

openfield, Marc Claramunt, Openfield numéro 1, Janvier 2013