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Diversité

Cette nouvelle thématique d’Openfield me tenait à cœur car j’ai l’intime opinion que la diversité n’est autre que la vie. Le vivant dans son ensemble est diversité. Tout le reste n’est qu’un semblant de vivant, car la diversité en est absente. C’est à un parcours au sein de ce que représente pour moi la thématique de la diversité que je vous invite au travers des quelques lignes qui suivent.

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Monoculture vs diversité

La monoculture est l’exact inverse de la diversité, c’est sa négation même. C’est une simplification à l’extrême de la végétation : une seule espèce cultivée sur des hectares. Cette plante n’occupe qu’une seule strate de la végétation (si l’on pense à nos champs de culture, il s’agit de la strate herbacée), ce qui conduit à un appauvrissement dramatique de l’environnement. On estime qu’en 30 ans, 80 % des insectes auraient disparu. Bien sûr, la monoculture n’est pas le seul facteur de leur déclin mais cette pratique y participe grandement.

La monoculture est à l’image de ce que l’humain aime à pratiquer depuis trop longtemps : ranger les choses (vivantes ou non) dans des cases. Chacun sa boîte, il ne faut pas les mélanger et les moutons seront bien gardés.

La monoculture est plus simple à gérer me direz-vous ? Si l’on aime faire un travail répétitif, qui ne demande pas trop de questionnement, effectivement, la monoculture est une bonne solution. J’oserai presque dire que la monoculture est le corolaire agricole de l’abêtissement en cours de la population humaine.

Monoculture briarde de blé, juin 2019 © Anaïs Jeunehomme

J’en entends d’autres qui affirment que la monoculture est plus rentable ? Où est la rentabilité quand, sur un hectare vous ne récoltez qu’une seule plante là où d’autres, par des systèmes agricoles diversifiés, récoltent plusieurs espèces commercialisables ? Même un jeune enfant comprendrait que cultiver une seule plante « rapporte moins » qu’en cultiver plusieurs sur un même espace. Et puisque nous parlons de rentabilité, grattons un peu cette belle image d’Épinal et regardons ce qu’impliquent les monocultures.

Avec une monoculture, si une peste se déclare sur une plante, toutes ses voisines « l’attraperont », un peu comme les enfants à la crèche qui échangent généreusement leurs microbes les uns avec les autres. Ainsi, les plantes sont souvent malades, car elles sont toutes identiques : on les arrose alors de produits « phytosanitaires » (jolie création langagière pour ne pas effrayer le chaland).

Mais la monoculture conduit aussi à un appauvrissement des sols, les plantes consomment toutes les mêmes éléments, ce qui vide le garde-manger. Mais, me direz-vous, des rotations de cultures sont mises en place, pour pallier à ce problème. Oui, bien sûr. Cependant, le garde-manger qu’est le sol reste vide. Les plantes, ne trouvant plus leur nourriture dans le sol, deviennent alors dépendantes des engrais de synthèse administrés par les exploitants agricoles. Pour rappel, un sol en bonne santé doit contenir autour de 5 à 6 % de matière organique. Gérard Ducerf nous explique qu’aujourd’hui, certains sols ne comportent plus que 1 % de matière organique. C’est dramatique. En deçà, on appelle ça un désert : là où le sol (peut-on encore appeler cela un sol ?) ne contient plus de matière organique, il ne reste que le minéral.

La diversité dans les cultures permet de bâtir des systèmes résilients, où des plantes appartenant à différents étages de la végétation s’entraident et coopèrent.On sait aussi, notamment au potager, que certaines plantes font un bon voisinage, quand d’autres font au contraire mauvais ménage. Ces bénéfices réciproques permettent aux plantes de mieux croître, de résister plus facilement aux maladies et d’éloigner certains insectes. Ces associations végétales, en engendrant une plus grande diversité créent des systèmes qui agradent le milieu (amélioration du sol, diversité biologique accrue, meilleure gestion de l’eau, etc.). L’agroforesterie est un exemple mêlant les grandes cultures de céréales et les arbres, le principe d’agriculture syntropique en est un autre : des arbres de différentes tailles (souvent fruitiers) sont associés à des cultures de plantes annuelles (légumes par exemple).

La monoculture n’existe pas dans la nature : c’est une « invention » humaine.

Diversité génétique

La diversité est aussi nécessaire au sein des animaux, comme elle l’est dans le monde végétal.

Tous les animaux, s’ils ne subissent pas de contraintes (liées à la diminution de leur espace vital par exemple), vont tendre à mélanger leurs gènes. Chez les humains (qui sont des animaux forts étranges), l’absence de diversité génétique donne des résultats peu engageants… Cela n’est peut-être pas pour rien que de nombreux dogmes religieux (et légaux ?) interdisent de se reproduire avec des personnes de sa famille. Au-delà de l’inconvenance morale, qui est liée à la culture, les résultats biologiques peuvent être assez décevants, voir non viables sur le long terme… la nature est bien faite !

Diversité culinaire

Aujourd’hui, tout le monde apprécie de pouvoir déguster des plats issus des cultures d’autres continents. Cette diversité culinaire est un plaisir gustatif : personne n’apprécierait de devoir « renoncer » aux possibles offerts par les cuisines asiatiques, scandinaves, américaines, etc.

Cette diversité dans les compositions des plats est assez étonnante lorsque l’on sait que par ailleurs, « il existe plus de 200 000 espèces sauvages de plantes supérieures à la surface de la Terre, or seulement une centaine d’espèces végétales cultivées assurent 90 % de l’approvisionnement alimentaire mondial en calories, protéines et graisses […] ¹ ». La diversité culinaire pourrait donc s’accroître si nous nous mettions à reconsidérer bon nombre de plantes sauvages comestibles…

Etale de légumes au Kérala, Inde, Février 2016 © Anaïs Jeunehomme

Besoin de diversité

Pourquoi avons-nous besoin de diversité ?
Parce que la nature (dont nous ne devrions pas nous exclure, nous autres humains) fonctionne ainsi, depuis la nuit des temps. De nombreux principes naturels reposent sur la coopération et l’entraide.

Pourquoi la diversité nous serait-elle nécessaire pour nous entraider ?
Nous sommes capables de nous aider au sein d’une même espèce. Certes. Mais le faisons-nous ? Pratiquons-nous cette entraide -pourtant prônée par certaines religions- à tous ? Permettez-moi d’en douter. Nous entraidons les personnes de notre famille, ou de notre cercle amical, mais cela s’arrête bien souvent là. Et pourtant, dans les forêts, l’entraide est réelle. Et ce, même entre espèces différentes. Ce fameux « web » forestier est une connexion à haut débit établie grâce aux champignons : un arbre peine à faire de la photosynthèse ? Qu’à cela ne tienne, un autre, mieux placé que lui, par le biais des champignons mycorhiziens, lui fournira des sucres.

Quel est le rapport avec la diversité ?
Le dialogue fonctionne moins bien en monoculture. Je pense même que de la monoculture naît la concurrence, la fameuse « loi du plus fort ». Un boisement est diversifié s’il comprend toutes les strates de végétations, allant des champignons aux arbres. Ce réseau crée la diversité nécessaire à son bon fonctionnement et à sa résilience.

Diversité végétale de la strate herbacée, Vosges été 2016 © Anaïs Jeunehomme
 

La diversité, pour le plaisir des yeux

La diversité ravit l’œil et le cœur.
Est-ce que l’âme jubile à la vue d’un boisement monospécifique de sapins de Douglas ? La mienne pas du tout. Mon moral est en berne : l’horizon est bouché, la lumière absente, l’ambiance est plombée.
Tandis que face à une forêt diversifiée de feuillus, ou mixte (feuillus et résineux) mon œil se réjouit, et mon cœur en fait autant.

Boisement de feuillus, Lot-et-Garonne, novembre 2016 © Anaïs Jeunehomme

Une angoisse me saisit à ces paysages mornes, uniformes et plats. Ce malaise perdure car il est l’illustration même de la bêtise humaine en termes d’agriculture. Décidément, l’illumination ne me viendra pas au milieu de la Beauce… Tandis qu’au milieu de paysages vallonnés, festonnés de haies et ponctués d’arbres, une félicité me gagne… La grâce n’est pas loin !

Un monde de diversité ?

Le monde est diversité. La société l’est beaucoup moins à certains égards. Notre système scolaire et ses nombreuses réformes tendent à créer une monoculture de futurs adultes : dociles et corvéables. Il ne faut pas faire de vague, il faut rester dans le rang, ne pas (trop) sortir du lot.
La monoculture est aussi dans l’habillement. La mondialisation, du reste, aide aussi à ce mouvement : tout le monde, tout autour du globe doit être vêtu selon la (même) mode. Uniformiser. Uniforme. Pourtant, la diversité est ce qui fait la beauté de notre planète. La variété de ses paysages, de ses habitants et de ses cultures charme le cœur.

La diversité c’est la santé !

Si notre tube digestif n’était peuplé que d’une seule espèce de microorganisme, notre digestion fonctionnerait bien moins bien, voire nous en mourions. C’est bien la diversité et l’équilibre de cette faune et de cette flore qui nous permet d’être en bonne santé.
L’absence de diversité est aussi la porte ouverte à la dépression. Nous réjouirions-nous de voir, tous les jours, autour de nous, des clones d’une seule et même personne, avec une personnalité toujours identique ? La folie nous guetterait… Plutôt vivre seule que mal accompagnée ! Et pensons aussi à la diversité musicale ou littéraire : elle participe de notre bien-être. Toutes ces observations m’amènent à m’interroger : pourquoi l’être humain « sapiens » passe-t-il une grande partie de son temps à combattre, harceler ou tuer la diversité ?

Une peur de la diversité ?

Le pouvoir a peur de la diversité. La diversité c’est constater qu’il y a un autre que moi, et qu’il peut être différent de moi. La négation de la diversité conduit tout droit aux extrêmes, qu’ils soient raciaux, religieux ou politiques. Malheureusement, les scientifiques n’auront pas le temps de répertorier toute la diversité portée par notre planète : elle disparaît chaque jour, chaque seconde. La beauté qui fait ce monde se meurt, et avec elle c’est une part de nous qui trépasse.

 

Note / Bibliographie :

1. «Les jardiniers de la nature » de Serge Bahuchet, 2017, éditions Odile Jacob

Pour référencer cet article :

Anaïs Jeunehomme, Diversité, Openfield numéro 14, Décembre 2019