Eh bien oui… En observant les chantiers lillois, nous ne pouvons manquer la valse des camions chargés en déblais urbains… Où vont-ils ? Un peu plus loin… dans ce que l’on nomme en langage du XXIe siècle : « Installations de Stockage de Déchets Inertes ».
Le sol : un filtre pour la qualité de l’eau.
De quelques centimètres à 300 mètres, le sol constitue l’épiderme de la Terre ! Outre le fait qu’il soit le puits de carbone le plus important au monde, le sol remplit des fonctions environnementales et socioéconomiques significatives pour la vie humaine. Bien que la régénération du sol puisse demander 1000 ans, cette ressource non renouvelable à l’échelle humaine est sollicitée et dégradée de manière croissante…
Pourtant, le sol devrait être préservé, entre autres, pour son rôle vital de stockage, de régulation et d’épuration de l’eau ! En effet, le sol joue un rôle de véritable filtre naturel grâce à son action de dégradation des contaminations chimiques.
94 % de l’approvisionnement en eau potable du Nord–Pas-de-Calais est constitué des ressources en eau souterraine. En sachant cela, les sols en tant que premier filtre pour la qualité de l’eau devraient être bichonnés.
L’imperméabilisation : une gangrène du XXIe siècle
Aux côtés des pratiques agricoles et sylvicoles inadéquates, l’étalement urbain est une cause importante de la disparition des sols. Selon l’Institut français de l’environnement, l’équivalent d’un département français est artificialisé tous les dix ans…
Face aux problématiques de l’étalement urbain, la reconstruction de la ville sur elle-même apparaît comme une solution.
Le territoire du Nord-Pas-de-Calais et sa désindustrialisation sont particulièrement concernés par ce potentiel de rénovation urbaine. Lille a d’ailleurs fait du renouvellement urbain une orientation forte pour son développement depuis les années 80.
Cependant, les chantiers urbains entraînent inévitablement des matériaux de démolitions et des déblais. Ces mélanges hétéroclites sont classés « déchets inertes », puis mis en dépôt hors des villes. Ils deviennent aujourd’hui une problématique des travaux urbains.
En effet, la multiplication à venir d’Installations de Stockage de Déchets Inertes pose la question de leur intégration dans le paysage en général et dans l’environnement en particulier !
Le déblai urbain : un sol comme les autres ?
Ne soyons pas dupes… Si les déblais urbains ont l’appellation déchets « inertes », cela reste beaucoup sur le papier. Lorsque l’on parle de déblais urbains, il s’agit de matériaux de démolition et de terres excavées. Mais aucun déchet n’est inerte ! Malgré toutes les bonnes volontés, il restera toujours de la peinture au plomb sur une cloison ou de l’amiante entre deux briques ! Dans les terres excavées urbaines il y aura toujours, du moins dans les couches les plus superficielles, des résidus d’hydrocarbures, de métaux lourds et de solvants !
Or n’oublions pas, comme disait notre ami Paracelse : « ce qui fait le poison c’est la dose ». En effet, dans le cas des dépôts de déblais urbains, c’est bien la quantité de déchets stockés à un même endroit qui participe à la concentration des polluants sous l’effet de la pluie et de la fermentation naturelle : la fameuse lixiviation.
Alors, les déblais urbains : un sol remanié ? Oui ! Et très coloré.
Les carrières d’Haubourdin : fossoyeuses des déblais urbains lillois
Aux portes du parc de la Deûle, au sud de Lille, s’étendent « les carrières d’Haubourdin ». Situées à cheval entre Emmerin, Haubourdin et Loos, les carrières sont exploitées dès les XVe et XVIe siècles pour servir à faire de la chaux. C’est par la suite l’entreprise des Ciments du Nord du groupe Lafarge qui exploite le site avant de devenir la propriété en 1976 de la société Ramery.
Sa filiale Recynor exploite aujourd’hui la craie des carrières avec une autorisation jusqu’en 2029.
Certaines parties des carrières comme le parc des Hauts d’Haubourdin, aujourd’hui inexploitées, sont désormais comblées par un dépôt de déblais urbains.
Cela tombe très bien pour la société Ramery, puisque le plan de réaménagement après exploitation des carrières prévoyait une remise à niveau du terrain… D’un réaménagement du site qui aurait pu être couteux pour l’exploitant ; il devient lucratif. D’un renouvellement urbain qui aurait pu être gênant dans sa production de déblais ; il devient justifié.
Mais un recyclage plus fin de ces matériaux ne serait-il pas envisageable ? Concevoir ces déblais urbains comme une matière première plutôt qu’un déchet serait-il possible ? Avoir un protocole de reconstitution de la vie des sols serait-il cohérent ?
Le dépôt des carrières d’Haubourdin et l’eau potable souterraine lilloise
Les carrières-dépôts d’Haubourdin sont situées à la limite du périmètre de protection des champs captants d’eau potable du sud de Lille.
En effet, les carrières sont situées sur la nappe de la craie : une formation géologique suffisamment poreuse pouvant stocker l’eau.
Or, la nappe de la craie est un aquifère majeur représentant pour la métropole lilloise une source principale en eau potable. Elle est cependant particulièrement sensible aux pollutions urbaines et agricoles. En effet, cet aquifère au sud de Lille est vulnérable en raison de sa faible profondeur sous des limons peu épais. Pourtant 50 % de l’eau potable redistribuée sur la métropole provient des champs captants de Lille Sud. C’est pourquoi un périmètre de protection a été sagement établi en participant ainsi à la démarche ORQUE : Opération de Reconquête de la QUalité de l’Eau du bassin Artois-Picardie. Une Installation de Stockage de Déchets inertes est-elle en ce sens la meilleure des protections ?
La reconstitution des sols : un enjeu pour les dépôts d’Haubourdin
À proximité des champs captants, les sols remaniés des déblais urbains doivent faire l’objet d’une attention particulière quant à leur devenir :
– D’abord, les dépôts de déblais urbains présentent un risque de pollutions par lixiviation des sols. En effet, la lixiviation est un phénomène préoccupant pour la qualité de l’eau potable dans la mesure où l’eau de pluie participe à dissoudre les produits chimiques du sol et à les transporter dans les nappes.
– Ensuite, les dépôts de déblais urbains présentent un risque d’érosion par manque d’agrégation des sols. En effet, ces sols étant caractérisés par un fort déficit d’agrégation, leur stabilité est menacée sous l’action des pluies dégradant leur structure superficielle (phénomène de battance et ruissellement). Or l’agrégation, résultant de l’agencement des particules du sol et de la cohésion de ses constituants, est essentielle à l’infiltration, à la rétention en eau et à la garde d’oxygène.
– Enfin, les dépôts de déblais urbains présentent également des carences en éléments nutritifs majeurs pour la vie végétale tels que l’azote (N), le phosphore (P) et le potassium (k). Ces carences sont exacerbées par les faibles teneurs en argiles et en matières organiques dans les sols remaniés.
Bref ces sols sont dans le coma…
Favoriser ainsi la reconstitution de sols vivants à partir de ces sols remaniés représente donc un enjeu afin de leur redonner le rôle de filtre pour la qualité de l’eau.
L’Arbre : un maître des sols
Afin de comprendre comment reconstituer un sol vivant : observons les dynamiques naturelles à l’œuvre sur une friche industrielle.
LE CYCLE SYLVIGENETIQUE :
Sur ces milieux fortement anthropisés, nous pourrons constater qu’une végétation pionnière s’installera progressivement. Peu exigeant en substrat, à croissance rapide et prolixe en graines et pollens ; le cortège végétal de friche colonisera ces espaces ouverts et imperméabilisés. Petit à petit, les racines décompacteront le sol, développeront l’activité de la rhizosphère par la dynamique de la biomasse racinaire et constitueront une litière de matière organique qui deviendra l’humus. Sous nos latitudes tempérées, ces friches tendront avec le temps vers un couvert forestier. En effet, à la mort et chute des arbres pionniers, apparaitront de nouvelles espèces végétales qui constitueront la forêt secondaire plus dense et durable. Le cycle suivant sera celui de la forêt primaire ; mais en Europe 1000 ans seront nécessaires…
LES ARGILES ET LA VIE MICROBIENNE :
Pendant tout ce temps, les systèmes racinaires participeront à désagréger en profondeur la roche mère pour puiser les nutriments tels que le calcium, le potassium ou encore le magnésium dont la plante à besoin. Par cette action ils produiront ainsi des argiles à partir des nutriments qu’ils n’auront pas prélevés : le fer, la silice et l’aluminium cristallisés en silicates de fer et d’alumine. Or les argiles ont un rôle très important dans la régulation de la vie microbienne des sols en raison de leur capacité d’échange élevée et de leur aptitude à gonfler en présence de l’eau.
L’HUMUS ET LE COMPLEXE ARGILO-HUMIQUE :
En surface, c’est la décomposition progressive de la matière organique par l’action combinée des animaux, des bactéries et des champignons qui constituera l’humus. Par la suite, et formant ainsi un cycle : la minéralisation de l’humus délivrera aux racines l’azote, le phosphore et tous les éléments nutritifs indispensables à la croissance végétale.
Cependant, si le sol est un complexe d’argiles et d’humus ; comment font-ils pour se rencontrer alors qu’ils sont sur deux horizons différents ? Ce sont nos amis les vers de terre, par leurs inlassables aller-retour entre la surface et les profondeurs, qui produisent le complexe argilo-humique. Ils permettent ainsi de lier argiles et humus à travers leur tube digestif ; alors que d’un point de vue chimique ces deux éléments se repoussent naturellement. Ils ont ainsi un rôle crucial dans la formation du sol ; à tel point que Darwin proposa de remplacer le terme « terre végétale » par celui de « terre animale ».
>> UN PLAN DE GESTION : LE SOL EN HÉRITAGE
Comme nous pouvons le voir, argiles et humus sont deux piliers de la vie des sols. Le temps laissé aux cycles sylvigénétiques est quant à lui incontournable dans un processus de renaturation durable. Or, la protection pérenne des nappes passe nécessairement par la reconstitution des sols remaniés en sols vivants. Ainsi, cette démarche de protection nécessitera une stratégie raisonnée de développement, de plantation, de tri et d’amendement des sols. Allant dans ce sens, le Schéma Directeur de Lille Métropole prévoit la valorisation du cadre de vie sur l’agglomération. Il envisage à terme sur le lieu des carrières-dépôts d’Haubourdin un « espace à dominante naturelle et récréative ». Cependant, le risque serait de dessiner un parc de loisir oubliant l’héritage de son sol…
En effet, un plan de gestion du paysage fondé sur le facteur temps ne sera-t-il pas plus stratégique qu’un plan classique d’aménagement paysager ? Une vision globale des problématiques ne pourrait-elle pas être développée par un Plan de Paysage ? N’est-ce pas là une urgence sanitaire et sociale ?
Autant qu’un dessin, c’est d’un dessein dont ces sols auraient besoin…
Pour référencer cet article
Giulia Pignocchi et Julien Truglas, Le dessous d’un déblai urbain, Openfield numéro 11, juillet 2018