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Espace Politique

Comment construit-on un territoire et comment la manière de le construire influence-t-elle son appropriation, l’intensité de sa vie, les liens humains qui s’y créent et la place que chacun peut y trouver ?

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Sur notre métier…

En tant que concepteurs, urbanistes, paysagistes, architectes, nous avons la responsabilité de concevoir des espaces de vie, de rencontres, d’échanges. Notre métier nous permet de façonner le paysage de la société dans laquelle nous vivons.

Aujourd’hui, l’impérative participation des habitants à la fabrique de leur ville est actée, écrite dans des textes de lois. Mais quelle en est la réalité?

Parallèlement, émerge peu à peu une critique de l’exercice traditionnel de la profession d’architecte en tant qu’expertise corporatiste, diffusée du haut vers le bas et déconnectée des pratiques et des besoins des populations.
Depuis plusieurs années, en France et en Europe, des groupes d’architectes, paysagistes, graphistes… développent des actions, micro-interventions urbaines pour tenter de développer de nouveaux outils de construction et de réflexion sur la ville, plus inclusifs, démocratiques, économes, stratégiques, plus ancrés dans les réalités quotidiennes. A travers l’action directe, sur l’espace public, ces concepteurs viennent à la rencontre des usagers, habitants, mais aussi des élus et techniciens, et créent le débat.

Ce qui anime ce besoin aujourd’hui dans les villes, c’est de créer du collectif, retrouver une dimension collective, vivante et partagée dans la création de la Ville. Retrouver un sens au mot “espace public”, un sens politique.

Jeunes professionnels, nous sommes quelques-uns à nous poser la question de savoir comment aujourd’hui nous pouvons davantage nous mettre au service de nos concitoyens, comment, avec nos propres outils, nous pouvons contribuer à une construction collective de la Ville.

Se pose la question de savoir comment nous, architectes ou paysagistes nous pouvons ainsi renouveler notre pratique tout en revendiquant notre appartenance à notre métier.
Nous souhaitons nous positionner comme des initiateurs, et facilitateurs d’une participation des habitants à la vie de la société, mettant à leur disposition des outils pour agir, penser, ou fabriquer…

Il s’agit en ce sens de concevoir notre travail et notre démarche comme une action d’éducation populaire au sens qu’elle cherche à mettre à disposition des citoyens des outils et des ressources pour avoir prise sur le monde qui les entoure, la ville, nos lieux de vie…
Concevoir notre travail comme capable de générer un processus d’émancipation, capable de proposer des conditions d’émergence physique à des désirs collectifs.

C’est également réfuter un rôle d’expert professionnel pour au contraire défendre une expertise “habitante” partagée, sur la question des usages et des pratiques de la Ville.
Cette expertise d’usage est capable de faire émerger une intelligence ancrée dans la vie micro-locale et de constituer une nouvelle forme de gouvernance des projets urbains.

Cette posture implique de considérer que notre travail est sans doute plus particulièrement nécessaire là où les territoires sont en déshérence, en décroissance, là où les problèmes sociaux et économiques sont les plus forts et que les politiques traditionnelles d’aménagement ne peuvent suffir, là où la Ville est souffrante.
En militant pour une pratique micro-locale, nous pensons alors que cet “architecte” doit agir à l’épicentre de la crise, en proposant les moyens d’une résilience aux habitants, c’est à dire les moyens d’une prise de pouvoir collective sur leur cadre de vie, les moyens d’une résistance à la dégradation de leur environnement.

Faire
stratégie de partage de l’expertise et de capacitation citoyenne

Il s’agit de construire une dimension citoyenne et humaniste de la construction de la ville, pas comme un substitut aux politiques publiques, mais davantage comme un niveau supplémentaire mais nécessaire de ces politiques. C’est à la fois parvenir à une analyse partagée d’un territoire pour en saisir les subtilités, en faire émerger les spécificités et potentiels, et donner à chacun conscience de sa capacité à devenir penseur et acteur de son environnement. Oui mais comment partager avec le plus grand nombre, donner la parole à ceux qui ne la prennent pas forcément ? et comment devient-on acteur?

valorisation individuelle et collective
Par l’action concrète, il s’agit de faire prendre conscience à chacun de sa capacité individuelle à avoir une influence sur sa vi[ll]e, à la fois par l’acquisition de savoir-faire et par la mise en valeur des spécificités de chacun : dans un chantier collectif, la multitude des tâches à accomplir donne la possibilité de valoriser les individus, hors du schéma habituel valorisant d’abord l’intellect.
Dans le faire ensemble, l’échange de savoir faire, la transmission, se créent la rencontre, la mise en réseau des initiatives locales pour devenir forces d’action et de proposition à l’échelle locale. Au sein du groupe, chaque individu peut-être valorisé dans son aptitude à construire, à amener sa contribution à une action collective et par là prendre conscience d’une implication possible dans un projet plus vaste que son espace privé.
Ce processus d’action et de pensée concrète sort du temps politique long et du champ des spécialistes pour ouvrir des possibles partant des potentialités locales.

vers une vision politique de la ville
C’est à travers le FAIRE que nous expérimentons les outils de cette “capacitation citoyenne”. Autour d’actions concrètes touchant directement à la vie d’un quartier – échanges de savoir-faire, transformation temporaire ou perenne d’un espace repéré comme problématique, mise en valeur d’un élément d’architecture, de paysage… – il s’agit de rendre accessible l’analyse de territoire avec des outils nouveaux. C’est dans l’action, symbolique ou exemplaire que chacun va peu à peu saisir les différentes dimensions des projets de ville, les enjeux des aménagements, les problématiques que rencontrent les élus, les techniciens.
Entre les perceptions quotidiennes d’habitants, les enjeux politiques, les contraintes techniques, l’architecte est le vecteur de transversalité, capable de transmettre les clefs de ces différentes dimensions. Autour d’une action, la prise de parole devient plus naturelle, moins codée ou réservée à certains, à travers la construction progressive d’une analyse, elle prend une valeur et de la profondeur, sort des idées préconçues. Intégrée dans un groupe, elle se détache de l’intérêt individuel pour aller vers le bien commun.

A travers ces processus actifs se dessine une manière de mener des projets construits à partir d’une échelle citoyenne. Mais cela nécessite une réelle formation des habitants pour accéder à une vision politique, collective de leur vie, de leur quartier. Ceci nous rappelle à la dimension fondamentalement politique de l’aménagement : on ne construit pas seulement des espaces, mais bien un projet global de société.

 

Note / Bibliographie :

Capacitation citoyenne, Pour faire société on est capables de tout, Couleur livres 2013
Collectif, Handmade urbanism, Jovis 2013
Patrick Bouchain, Construire autrement, Acte Sud 2006
Yona Friedman, Utopies réalisables, ré-édition L’éclat 2000

Pour référencer cet article :

Claire Bonnet et Violaine Mussault, Les Saprophytes, Espace Politique, Openfield numéro 3, Janvier 2014