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Le climat

Lorsque l’on parle de climat, on y associe le ciel. Cette immensité au-dessus de nos têtes, tout à la fois abstraite par son ampleur et très concrète sur nos quotidiens. Le climat, c’est un sujet de temps. Le temps qu’il fait, bien sûr, mais tout autant, le temps qui passe. Le climat nous renvoie à notre modeste existence. Et, par son pouvoir absolu sur deux facteurs majeurs, l’ensoleillement et les pluies, il est, avec le sol, l’élément qui régule nos paysages.

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Le Jardin Argenté, livraison 2017, Photos © DICILA & Pierre-Yves Brunaud

 Le climat et l’abstraction concrète

Le climat n’est pas constant, chaque année réserve son lot de particularités, mais il s’inscrit sur des trajectoires, elles, bien ancrées. Ces trajectoires façonnent l’identité de nos paysages, secs ou frais. Le climat change. Il change à une vitesse à la fois insaisissable, imperceptible, et pourtant majeure. Les effets du changement nous sautent au visage et nous en sommes la cause majeure. 
Nous vivons l’effet papillon à retardement, généré par les agitations de 7,5 milliards d’humains depuis les années 60. D’ailleurs, ces agitations, nous, les habitants des pays riches, avons une responsabilité directe à ce changement. Et nous constatons chaque jour un peu plus ses effets.

Un  climat à  plusieurs vitesses

Malheureusement, le changement du climat, lancé sur sa trajectoire, change plus vite que notre capacité d’adaptation, et surtout que celle de la nature. Le bolide du réchauffement climatique est lancé à folle allure et, même en appuyant très fort sur le frein il lui faut minimum trente ans pour ralentir significativement.
Et ce frein nous le caressons à peine. Les voies s’élèvent, les initiatives se mettent en place sur certains sujets, échelles, acteurs, mais sur d’autres rien ne change. L’ensemble de ces actions sont une mise en action, mais ses effets sont loin d’être suffisants.
Le climat poursuit sa trajectoire. Les étés à canicule s’enchaînent désormais. Les espaces les plus enclins à nous préserver de ceci sont les espaces de nature, mais ils sont eux aussi en souffrance. Leurs conditions d’habitats changeant plus vite que leur capacité d’adaptation. 

Le changement c’est maintenant ?

Aucun propos politique derrière cette phrase. « Juste » une injonction collective. Nous n’avons pas d’autre choix que de changer nos objectifs tout autant que nos processus. Les alternances de canicules et de tempêtes reposent des questions fondamentales. Quelle est  notre capacité à vivre dans ce contexte, et à partir de quel modèle ? 
La montagne à gravir est immense et le parcours ne sera pas évident. Il est difficile, dans une société qui est dépendante à l’immédiat, de prôner des solutions aux résultats lents mais durables. Partageons d’abord ce constat : Personne ne sait précisément ce qui nous attend, ni quelle est la solution. Il n’y a d’ailleurs pas de solutions, mais des faisceaux de solutions, avec leurs imperfections. Mais nous devons prendre acte que, face à une situation quasi hors de contrôle, nous avons besoin d’énormément  de mouvement vers du mieux, même de manière imparfaite plutôt que d’expériences parfaites trop difficilement reproductibles. Nous avons besoin de bouger collectivement, même imparfaitement.

Quand le climat impose une lecture locale et non plus seulement globale.

Les mutations doivent se faire à toutes les échelles. Pour répondre aux enjeux, nous devons tendre à réduire l’impact de notre quotidien. Qu’il s’agisse de déplacements, de vacances, de passage en télétravail partiel quand cela est possible, ou même via le confinement. Nous avons redécouvert et testé nos lieux de vie, nos maisons, nos appartements. Nous avons également redécouvert nos quartiers, avec leurs ressources méconnues, mais aussi leurs manques. Cette lecture de la « ville du premier kilomètre » est un changement d’échelle notoire. La ville résiliente doit répondre à tous les aspects essentiels du quotidien en réduisant nos besoins de déplacements. D’un point de vue « espaces publics », cette approche rebat totalement l’importance des microlieux, des microcentralités douces et d’une manière générale de l’importance des lieux à l’échelle des quartiers. Il faudra pouvoir s’assurer que chacun ait à sa portée un lieu frais, public, permettant de se reconnecter à la nature, comme un besoin vital.

Quels paysages demain ? L’injonction d’une pratique climatique du paysage

À l’échelle des aménagements réalisés, nos processus de conception, de fabrication et de gestion des paysages doivent être massivement repensés. En effet, le changement se traduit concrètement d’une part via des épisodes climatiques importants (tempêtes, pluies diluviennes), mais également par des manques d’eau, et des périodes de sécheresse majeures.
Ce qui signifie, d’une part, le régime torrentiel doit être une approche prévue dans la conception des réseaux et systèmes hydrauliques, tout autant que la capacité des aménagements à survivre à des sécheresses prolongées et répétées.

En septembre 2019, R.Vautard du CNRS indiquait que la probabilité que l’été 2020 soit normal ou plus frais que la normal était de… 4 %. En septembre 2020, on dénombrait près de 80 départements ayant pris des arrêtés de sécheresse.  Il n’est plus concevable de réaliser massivement des jardins « sous perfusion » : nous ne saurons plus les faire fonctionner l’été lorsque nous allons en avoir le plus besoin, nous n’en avons écologiquement plus les moyens

Dès lors plusieurs questions se posent :

Faut-il intégrer des réserves d’eau, celles qui permettront de rafraîchir les espaces publics, d’arroser les végétaux en souffrance de canicule ? Mais alors, et au prix de tellement d’effort, quelle quantité d’eau faut-il stocker ? Lors de canicules prolongées, que faire avec des rétentions à vide ? Répond-on réellement au problème ?
Nous avons la conviction qu’il faut massivement passer par un paysage pensé par son milieu, et donc s’appuyer sur sa résilience, c’est-à-dire sa capacité naturelle à faire face à ce climat plus extrême.

Pour le paysagiste, c’est un changement de paradigme : d’un savoir-faire horticole, d’acclimatation, il faut passer à un savoir-faire d’ordonnancement joyeux du sauvage. Et dans cette optique, le sol est un héritage précieux : que ce soit un sol naturel préservé, un sol anthropique, voire artificialisé, il est l’ADN, la nature profonde des milieux qui seront mis en place, ou qui reviendront seuls.
Autre changement majeur : les projets de paysages doivent intégrer la question du risque et du climatique exceptionnels : expansions d’eau, rétentions, jardins inondables. À chaque échelle, chaque lieu doit contribuer à faire face aux épisodes de pluies intenses. La capacité de résilience est le critère de pérennité dans le temps. 

Elle pose selon nous des questions majeures sur les aménagements hors sols. Comme les parkings, les toitures ou encore les façades végétalisées dont la dépendance à l’eau est souvent nécessaire pour proposer une biodiversité de qualité. 
Et surtout, elle repense même la notion d’aménagement, qui tend peut-être surtout à du ménagement, entre des emprises dédiées aux milieux et des lieux d’usages partagés entre la nature et l’homme. Le sol et l’eau et les usages. Ce sont les ingrédients qui doivent guider toute réflexion.

Il est, sous cet angle, très riche de revoir les pionniers de notre discipline. Les enjeux à venir amènent à se poser plus de questions sur les processus de conception. Forestier à Barcelone pense déjà les lieux de nature en réseau, en y intégrant les théories hygiénistes les enjeux de santé sont mis au cœur d’une conception qui allie nature et santé.

A Versailles, c’est, par exemple, la conception des bosquets qui donne encore beaucoup à apprendre : Un pourtour maitrisé et un cœur forestier, permettant d’accueillir autant de refuges de faune et de biodiversité.
Ou bien encore le magnifique travail d’Olsmtead pour la conception du « Emerald Necklace » qui lie les échelles d’enjeux de nature, d’usages et d’urbanité.

Il ne faut surtout pas se méprendre. Il ne va pas « suffire » de laisser faire la nature partout. La bonne cohabitation des lieux habités et de milieux reconstitués demande d’une part une ingéniosité, une capacité à intégrer des possibles, et des variables. Elle demande également une très bonne connaissance de ces milieux, peut-être moins théorique que pratique. Le paysagiste de demain est sans doute un jardinier du sauvage ou de la forêt qui sait parler d’urbanité et de mode de vie. Il doit repenser les usages, possibles, éphémères ou permanents, laisser la place aux dynamiques des milieux et répondre à des besoins d’usages grandissants.
C’est avec beaucoup d’humilité, d’ingéniosité et de pragmatisme que les paysagistes doivent se saisir des enjeux du climat. Afin que derrière des constats effrayants, se dessine collectivement un avenir passionnant.

 

Pour référencer cet article :

Sylvanie Grée, Le climat, Openfield numéro 16, Janvier 2021