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L’Homme, une sale bête ?

Année 2016, Ol Pejeta au Kenya, Sudan pleure la mort d’un des derniers survivants de son espèce terrassé par la maladie. Ils ne sont plus que trois, lui et deux femelles, à subir les flashs quotidiens des journalistes et être suivis comme des ombres par des soldats de la réserve naturelle.

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Le temps est devenu un prédateur aussi dangereux que les trafiquants de kératine car Sudan est âgé de 43 ans. Dit autrement, c’est comme-ci l’espèce humaine, au bord du gouffre, dépendait de la capacité d’un homme de 75 ans à se reproduire. Car Sudan n’est pas un Homme mais le dernier mâle « Ceratotherium simum cottoni » ou rhinocéros blanc du Nord, sous-espèce décimée par le braconnage qui convoite sa corne vendue deux fois plus cher que l’or.
Si l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) refuse de parler d’extinction, elle classe l’espèce « en danger critique d’extinction » voire comme « éteinte dans la nature », la situation semble désespérée et s’accrocher au miracle scientifique du clonage ou du croisement avec les « cousins » du Sud.

Comment en est-on arrivé là ? Si cette question appelle au matraquage de la bêtise humaine, sa réponse n’apporterait aucune solution constructive. Elle aurait pour but d’énumérer les espèces menacées comme les crocodiles de Cuba, le gorille de l’Ouest ou encore les aigles de Florès ; puis de citer l’emblématique dronte de Maurice (ou dodo) éteint au XVIIème siècle ; et enfin d’appeler à la chasse aux braconniers et autres trafiquants.
A vrai dire, se poser cette interrogation reviendrait à concéder qu’il existe une certaine fatalité, « c’est comme ça et on ne peut rien changer », et que les espèces sont amenées à disparaitre une à une malgré les vaines tentatives de la préserver encore quelques années.

« L’Homme est un loup pour l’Homme », l’emblématique citation, tirée du « Léviathan », de Thomas Hobbes est toujours l’objet de débats politiques. Ici, la cruauté, incarnée par le loup, est personnifiée dans les liens tissés entre les êtres humains. Dit autrement, avant la création de l’Etat, les Hommes étaient dominés par la bestialité des rapports sociaux dans un contexte d’anarchie animale.
Cette approche philosophique nous permet de développer un raisonnement peu connu lorsque nous sommes appelés à contribuer sur l’animal. Car la phrase de Hobbes sous-entend une vérité scientifique à savoir que l’Homme est un animal, et traiter d’un tel sujet reviendrai donc à analyser les interactions entre les différences espèces qui composent la faune biologique. La nature de ces rapports est complexe, comme le démontre le cas du rhinocéros blanc du Nord, mais elle ne doit pas se résumer à un manichéisme à double tranchant.
D’une part, toute l’espèce humaine n’est pas dans une logique d’extermination de ses congénères biologiques à des fins commerciales. A contrario, une partie des Hommes ne manifeste aucune préoccupation concrète pour endiguer les vagues de disparitions de certaines composantes de la faune.
D’autre part, la médiatisation de ces fléaux se concentre exclusivement sur la menace d’animaux « visibles » aux dénominations « populaires ». Concrètement, il est plus facile d’être sensibilisé aux lentes extinctions de l’éléphant de forêt d’Afrique, du lion persan, et de la baleine de Biscaye que du nette à cou rose, de l’hapalemur alaotrensis, du wombat à nez poilu du nord ou encore du cardioglossa alsco.

L’année dernière, à l’occasion d’une cérémonie associative engagée dans la préservation de la biodiversité, un intervenant s’est payé le luxe de railler le logo d’une célèbre Organisation Non Gouvernementale car il représentait un panda. Motif ? L’intervenant en question estimait que ce mammifère a fait l’objet d’une attention ancestrale au détriment d’autres espèces comme les abeilles qu’il jugeait hautement plus importante pour la biodiversité en reprenant la célèbre citation d’Albert Einstein : « Si l’abeille disparaît, l’humanité en a pour quatre ans à vivre ». Triple problème, Einstein n’a jamais prononcé cette phrase ; n’avait pas de compétence particulière ni même d’intérêt pour l’écologie, l’entomologie ou les abeilles ; et cette intervention hiérarchise les espèces animalières à protéger en fonction de l’utilité et de la survie des êtres humains.
Plus qu’une nouvelle façon de penser, où l’Homme ne cohabite pas avec l’animal mais vit harmonieusement avec ce dernier, c’est aussi un nouveau cadre de vie qui doit émerger. Par exemple, l’éducation à l’environnement, apportée aux profanes, permet de comprendre que certains individus sont des acteurs d’une extinction animale inconsciente. Grossièrement, un jardinier, qui utilise des pesticides, ne se rend certainement pas compte qu’il est aussi nuisible qu’un braconnier.

Une telle contribution doit aussi apporter des solutions ou du moins des propositions, elle doit répondre aux problèmes mentionnés de médiatisation spécifique, de pensée scientifique et philosophique, et de mode de vie.
Une partie de ces solutions réside dans une interaction coordonnée et constructive des acteurs nationaux politiques, publics, privés, scientifiques, associatifs et civils engagés dans la préservation et la mise en valeur de la biodiversité. Elle nécessite aussi des débats et des échanges de savoirs et de connaissances entre professionnels et des non-initiés qui découvrent, approfondissent, et comparent leurs projets environnementaux ; et qui formulent des solutions concrètes pour apporter une paix écologique entre l’Homme et le monde animal. A titre d’exemple, l’association Les Eco Maires s’efforce à reprendre ces différents paramètres nécessaires pour bousculer les mentalités et métamorphoser les pratiques. Elle la traduit par des formations, des contributions aux travaux, ou encore par l’organisation d’évènements comme les Assises Nationales de la Biodiversité (ANB), qui en est à sa sixième édition, chargée, en outre, de valoriser la « faune perdue ».
Ces exemples de solutions n’ont pas pour but de réhabiliter le milieu microscopique, ce travail est réservé aux causes accusées d’être nuisibles par le passé, mais de leur redonner une place responsable à l’appui des preuves scientifiques. Longtemps reniée par l’Homme, cette entité animale est un trésor terrestre car elle revitalise le milieu forestier, bonifie le patrimoine géologique, facilite le labeur des agriculteurs, assainit la ressource en eau, implique la société civile, et renforce les milieux végétalisés en zone urbaine. Des spécificités qui contribuent à dynamiser la mise en tourisme d’un territoire, à développer la participation du grand public, et à améliorer les conditions de vie des concitoyens. Concrètement, à titre d’exemple, l’un des objectifs des ANB est de prouver que l’animal est l’un des principaux atouts pour notre bien-être socio-économique et sanitaire grâce à ce pouvoir d’attractivité économique, de cohésion sociale, et de garantie d’une hygiène sur le long terme.

Il est évident que l’ambition de ce type d’initiative n’est pas de trouver la solution miracle pour que Suna, notre rhinocéros blanc du Nord, puisse s’assurer une descendance ; mais plutôt de participer à ce long processus d’harmonisation des différents modes de vie composants le monde animalier dont nous faisons partie. Une idée, parmi tant d’autres, qui ne répond pas au « Comment en est-on arrivé là ? » mais au « Qu’avons-nous fait ? », et c’est déjà une grande avancée…

 

Pour référencer cet article :

Pierre Pavy, L’Homme, une sale bête ?, Openfield numéro 7, Juillet 2016