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Les saules

un genre au caractère bien trempé

En commençant notre collection d’arbres et d’arbustes dans un lieu nommé « les noues », nous n’imaginions pas que cette dénomination était à ce point, un résumé très exact des conditions naturelles du site et que nous devrions autant en tenir compte. En effet, le nom « noue » aurait des origines gauloises (nauda) ou moyenâgeuses (noé ou nohé) signifiant terre grasse et humide, marécage. Et sur place nous avions aussi la « doue » devant la maison, c’est-à-dire une mare. Ce nom « doue » étant, semble-t-il, toujours d’origine gauloise comme « la boue », mot encore bien utilisé aujourd’hui.

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Le site est en effet occupé depuis fort longtemps puisqu’on y trouve des objets datant du néolithique (âge de la pierre polie soit environ – 5000 ans) notamment près de la source la plus importante.
Toutefois, nous commençons nos plantations en 1976, année extrêmement sèche et qui fait suite à deux autres années très sèches — 1974 et 1975 — : l’aspect marécageux est bien sûr apparent, mais il parait, cette année-là, assez peu marqué. Mais, au fil des années, nous allons vite être confrontés à ces sols très argileux (par endroits dès 20 cm de profondeur) où l’eau stagne en surface dès que les pluies sont abondantes, ceci en hiver comme en été, et forme une nappe quasi permanente dès 50 cm de profondeur sur plusieurs ha. Or, comme vous le savez, les racines des arbres, dans la majorité des espèces, ont besoin d’air pour respirer et elles asphyxient en cas d’immersion prolongée. Certaines espèces y sont particulièrement sensibles et ne développent aucun système racinaire dans la partie du sol souvent ennoyée. Elles ne portent alors qu’un système racinaire superficiel : ce qui les rend particulièrement sensibles à la sécheresse lorsque celle-ci s’installe durablement et assèche même les zones marécageuses. Ces constatations et une meilleure connaissance des sols au fur et à mesure que nous plantons plusieurs hectares, nous amènent d’abord à faire des travaux pour que l’eau de surface s’écoule mieux : fil d’eau par exemple (fossé de 30 cm de profondeur à pentes latérales très douces) ; mais pas de drainage : les racines des arbres et arbustes « adorent » se développer dans les tuyaux de drainage et les bouchent en quelques années. D’autre part, dans les zones qui s’ennoient les plus facilement, nous plantons désormais sur butte de terre (apportée d’ailleurs) de 30 cm de hauteur après tassement et sur 3 à 4 m de diamètre. Ces travaux s’avèrent efficaces, mais insuffisants pour conserver certaines espèces exigeantes en sol profond et sain. Il faut donc, dans les sols les plus marécageux utiliser uniquement des espèces capables de supporter de longues périodes de « noyade », voire d’en tirer profit. Les aulnes, les bouleaux, certains chênes, les nyssas, les peupliers en sont capables, mais cette adaptation est limitée. Les champions pour ce genre de situation sont les saules, car leurs racines peuvent respirer « comme les poissons » en absorbant l’oxygène de l’eau. C’est peu le cas pour leurs cousins les peupliers qui demandent des terrains frais, mais dont le système racinaire ne se développe qu’au-dessus de la partie ennoyée du sol et qui ne supportent que temporairement un ennoiement total. Et ceci à condition que l’eau circule dans sol ; ce qui la rend plus riche en oxygène. Ainsi nous commençons dès le début des années 90 une collection de saules (pour atteindre plus de 200 taxons). Un peu plus tard Alain se spécialise dans l’utilisation des saules à des fins de reconstitution de bords de rivières, de filtration des eaux polluées ….

Un peu de botanique

Les Saules appartiennent à la famille des Salicacées caractérisée par :
Des graines dicotylédones,
Des fleurs unisexuées, c’est-à-dire dioïques. Il y a donc des plantes mâles et des plantes femelles (rarement les deux),
Des fleurs sans pétales dites apétales.

Cette famille ne comprend que deux genres : les saules (salix en latin) et les peupliers (populus). Ce nom de genre vient de :
en français actuel, selon les écrits « saule » viendrait du nom de ce genre en ancien allemand (salha) ou anglais (salh)…
en latin le genre Salix viendrait tout simplement de son nom en latin ….

Mais Christopher NEWSHOLM : auteur de WILLOW (le nom des Saules en Anglais) dit que l’origine est celtique — sallis-et signifierait : près (sal) de l’eau (lis).

Leurs caractéristiques morphologiques sont les suivantes :
Toujours des feuilles entières
Toujours des feuilles simples
Toujours une seule écaille par bourgeon
Presque toujours des feuilles alternes

Salix daphnoîdes : feuillage de fin d’été et éclosion des bourgeons à une seule écaille ©G.Sauvé

Un peu d’histoire

On a reconnu du pollen de saules dans des formations du Crétacé (-70 à -135 millions d’années). On a ainsi trouvé du pollen de saules sur des « fossiles de nid d’abeilles » de -90 millions d’années. Le genre s’est probablement formé sous climat tropical alors qu’actuellement les saules sont inféodés aux climats tempérés et boréaux.

Et de géographie

Les saules vivent essentiellement dans l’Hémisphère Nord ; les zones les plus abondantes en espèces et en nombre d’individus sont en Europe, Asie et Amérique du Nord. Mais quelques espèces sont originaires du Mexique, d’Argentine, d’Égypte, d’Afrique du Sud…
Cependant compte tenu de leurs facilités de multiplication et grâce à l’homme qui les utilisent depuis très longtemps et les a fait voyager, de très nombreuses espèces ont conquis tout le monde tempéré et se sont hybridées entre elles et avec les espèces locales.

Diversité

Il y aurait environ 400 espèces de Saules dans le monde, certains disent même 500… mais elles s’hybrident facilement (il y aurait environ 200 hybrides naturels et beaucoup plus d’artificiels) et la diversité morphologique (feuilles, tailles, couleurs des rameaux…) d’une même espèce est particulièrement forte et a permis de créer de très nombreux cultivars. Ainsi, ce n’est parfois pas facile de les nommer avec précision ou certitude… c’est un genre qui montre particulièrement bien combien la diversité de la nature est difficile à appréhender.

Un peu plus de botanique

Les chatons :
Ils apparaissent avant, en même temps ou après les feuilles, parfois ils apparaissent durant toute la saison de végétation (Salix triandra « semperflorens », le saule amandier à 3 étamines qui fleurit en permanence),
Ils contiennent du nectar ; la fécondation est assurée par les insectes, mais aussi par le vent,
Les étamines sont au nombre de 2 à 5,
Les chatons femelles sont plus discrets et deviennent les fruits.

chatons mâles ©G.Sauvé / chaton femelle

Les fruits et les graines :
La dissémination se fait par le vent grâce à l’écaille poilue grande et très légère,
Les graines sont très petites et très nombreuses.
En mai, les mares et étangs peuvent se retrouver couverts d’une pellicule blanche tellement les fruits cotonneux sont nombreux. Leurs cousins les peupliers, qui font la même chose, sont d’ailleurs appelés « cottonwood » en anglais.

Les feuilles :
Elles sont toujours entières, mais d’épaisseur, de rugosité et de pilosité variées. Quasi toujours à apex pointu. Longueur de 1 à 20 cm et largeur de 5 mm à 10 cm. Il faut aussi signaler, parfois la présence de stipules (dites oreillettes) plus ou moins pérennes.

Salix aurita et Salix gracilistyla ©G.Sauvé

Les rameaux :
Ils sont souvent verdâtres, mais aussi jaunes, rouges, oranges, bicolores… Ils peuvent être très pubescents (Salix lanata par exemple).

exemple de couleurs de jeunes rameaux en hiver ©G.Sauvé

Leur dimensions
Leurs hauteurs vont de plus + 30 m (Salix alba) en passant par des arbustes grands, moyens, petits, mais aussi des nains (Salix herbacea) en zone arctique (5 cm). C’est l’un des plus petits arbustes au monde !!

Ecologie et particularités physiologiques

Tous les saules aiment les milieux frais et (ou) humides, mais certains supportent un peu la sécheresse (Salix atropurpurea). Ils sont en général « argilophiles » et préfèrent souvent les sols assez riches (alluvions). Leurs racines savent respirer l’oxygène de l’eau : cette caractéristique est très rare parmi les arbres de notre flore. Leurs racines peuvent se néoformer sur toutes les parties de la plante (même sur un tronc de 20 cm de diamètre) et elles sont extrêmement performantes pour chercher l’eau et l’air.

Ce sont des espèces pionnières, spécialistes de la conquête des territoires :
Tous les saules produisent des millions de graines emportées, potentiellement très loin, par le vent et l’eau et même accrochées aux pelages ou aux plumes des animaux,
Les rameaux (jeunes ou très vieux) de la majorité des espèces se bouturent, à l’endroit comme à l’envers, de même que les racines grâce à la présence d’amas de cellules indifférenciés partout. Néanmoins le bouturage est peu facile pour, par exemple, Salix caprea, Salix hakuro,
Certaines espèces drageonnent (Salix interior),
Certaines ont des rameaux très cassants (Salix fragilis) ou très souples et longs (divers saules pleureurs) pour conquérir l’espace lors d’épisodes de vents ou d’inondations.

racines de saule poussant dans l’air humide d’une cascade dans le jardin botanique de LYON ©G.Sauvé

Intérêts des saules

Pour les jardins :

Compte tenu de leurs caractéristiques écologiques, il vaut mieux ne les installer qu’en sols frais ou au bord des plans d’eau (sans en abuser, car leurs feuilles qui tombent dans les eaux se transforment en vase). Sinon leur beauté et même leur survie ne pourront être assurées que par des arrosages abondants et fréquents.

Il y a pas mal de choix dans la couleur des feuillages :
Quelques variétés ont un feuillage panaché. Le plus célèbre est le saule dit « crevette “ = Salix integra hakuro nishiki (japonais),
Certaines jeunes feuilles sont rouges (Salix atrocinerea), d’autres jaunes (Salix integra), d’autres blanches ou grises toute l’année (Salix cinerea, lanata, hookeriana),
Certaines sont même soyeuses comme le saule ‘soie’ (Salix alba ‘sericea’),
Certaines espèces ont des couleurs d’automne précoces et parfois très belles.
Les formes pleureuses sont très célèbres et très utilisées notamment en aménagement urbain en bords de rivière (Salix babylonica et x sepulcralis par exemple). Certaines variétés ont des feuilles enroulées (Salix babylonica ‘annularis’) ou des tiges tordues (Salix matsudana ‘tortuosa’) et bien encore des tiges épaissies et aplaties (Salix sachalinensis ‘Sekka’).

couleurs d’automne bien marquées et précoces ©G.Sauvé
Salix sachalinensis ‘sekka’ et salix alba ‘sericea’ ©G.Sauvé

Les chatons mâles peuvent être très voyants : rouges (Salix purpurea), noirs (Salix melanostachys), jaunes (les plus nombreux), mais aussi odorants et mellifères. Et ceci dès janvier selon la météo et les espèces. Ainsi la floraison des saules fait du bien au moral des humains et à l’appétit des insectes téméraires.

Pour d’autres utilisations :

Les saules dits osiers sont utilisés depuis très longtemps pour la vannerie à partir des espèces à bois souple : S. purpurea, viminalis, triandra, x rubra…
On tresse aussi des brins vivants pour décorer ou créer des limites. Ces ‘objets’ sont difficiles à maintenir hors des terrains qui s’y prêtent et en l’absence de tailles fréquentes,
Plus étonnant, on a fabriqué des coracles, qui sont de petites embarcations fluviales ou lacustres légères faites de branchages de saules entrecroisés et recouverts de peaux ou de toiles imperméabilisées, se manœuvrant à la pagaie. On en trouve toujours au Pays de Galles.
Les battes de cricket en Angleterre sont faites en saule blanc variété coerulea. (La définition de Wikipédia est la suivante : une batte de cricket est un accessoire en saule et rotin de la forme d’une rame courte maniée par les joueurs de cricket pour frapper la balle).
Pour la fabrication de lien pour la vigne par exemple,
Pour le nourrissage du bétail (ruminants et chevaux) en Australie,
Pour la médecine : l’aspirine (acide acétylsalicylique) est un dérivé d’un composant des saules (acide salicylique), récolté autrefois dans l’écorce et synthétisé au 19e siècle,
En génie végétal pour le maintien des berges : en bois morts comme ci-dessous ou en bois vivant pour stabiliser des berges sur le long terme,

stabilisation de berge en bois mort ©G.Sauvé
en bois vivant ©G.Sauvé

En assainissement avec objectif ‘zéro rejet’ en complément après une épuration par des plantes hélophytes,
C’est un bois de feu et un bois d’œuvre médiocre, mais il est utilisé en ‘taillis à très courte rotation’ sous les climats du nord de l’Europe pour fournir, grâce à une forte production de biomasse, les chaudières des centrales électriques.

Ils ont aussi quelques défauts

Un vieillissement assez rapide,
Il faut être vigilant quant aux racines qui peuvent pénétrer dans les épandages ou les tuyaux d’eau pluviale et usée et les boucher entièrement, dans les caves…
Attention aux saules qui drageonnent, ils sont envahissants,
Attention aussi à ne pas laisser envahir les bords de plan d’eau.

Et quelques maladies

Les saules peuvent subir des attaques de champignons :
Tavelure du saule (Pollaccia saliciperda) et maladie du saule due à Marssonina (Marssonina salicicola), des maladies cryptogamiques sur les feuilles très fréquentes lors de printemps humides, mais les arbres atteints refont rapidement des nouvelles pousses,
Chancres (Cytospora chrysosperma, Phomopsis salicina, Sphaceloma murrayae), chancre noir du saule (Glomerella miyabeana) sur les jeunes pousses et les blessures.

Des attaques d’insectes :
Des cicadelles aphrophores des saules (Aphrophora salici), les larves sont contenues dans les célèbres ‘crachats de coucou’,
Des pucerons comme le grand puceron noir du saule (Tuberolachnus salignus) ou le puceron des écorces (Pterocomma salicis), le petit puceron du saule (Aphisfarinosa).

En conclusion les saules sont très dynamiques, presque envahissants grâce à leurs modes de reproduction variés et très efficaces… mais seulement en milieu ‘bien trempé’ si je puis dire. Si, en France, les sècheresses venaient à être plus fréquentes et plus accentuées du fait du réchauffement climatique, ce genre verra peut-être son aire de répartition diminuer et ses utilisations en paysage restreintes….

 

Pour référencer cet article :

Geneviève et Alain Sauvé, Les saules, Openfield numéro 10, Décembre 2017