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Lettre de Marin Baudin

Paysagiste dans un CAUE

Maison-Feyne, le 20 Février 2012
Je vous écris depuis la Creuse. Oui, je sais, ça fait toujours sourire les gens quand on leur parle de ce département. Les uns mimant l’étonnement de savoir que ce territoire existe toujours, les autres plaignant mon sort. “Qu’as-tu fait pour te retrouver là-bas ? ; Et c’est volontaire, alors ?”

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Les premiers temps, j’acquiesçais d’un air complice, reconnaissant que ce n’est pas forcément le département le plus attractif de France, mais bien l’un des moins peuplés, l’un dont la moyenne d’âge est la plus élevée d’Europe, des superlatifs dont tout territoire se passerait bien ; aujourd’hui, ces propos m’agacent. Sans cesse se justifier, défendre un territoire, qu’à la réflexion, je connais depuis peu, mais que pourtant j’ai appris à apprécier, à découvrir son charme. Aujourd’hui je laisse rire, et j’essaie, à mon humble niveau, de valoriser ces espaces, de faire prendre conscience à un certain nombre d’élus, d’habitants que je peux rencontrer, de la valeur d’un département rural qui n’a connu qu’un faible remembrement, une valorisation de plus en plus grande de son patrimoine bâti et surtout les grands enjeux de déplacements et de développement auxquels nous devons faire face et répondre pour la pérennité du territoire.

Quelle profession peut permettre cela ? Approcher les élus, les habitants d’un département entier, sur des questions d’aménagement du territoire, partager avec eux des problèmes de société qui touchent leur région, sans être soi-même ni élu, ni fonctionnaire. Nouvelles explications, nouvelle difficulté. Essayer de défendre la Creuse ne suffisait pas …

Deux problèmes se posent au paysagiste travaillant dans un CAUE lorsqu’il doit expliquer sa profession à un interlocuteur : qu’est-ce qu’un paysagiste, et surtout qu’est-ce qu’un CAUE, énième sigle dans la forêt d’acronymes peuplant notre environnement ?

Pourtant, l’un et l’autre ne sont pas nouveaux. Ils demeurent toutefois méconnus, souvent pris pour ce qu’ils ne sont pas. Sans être jardinier, nous le sommes quand même un peu : devant connaître les périodes de plantation, certaines techniques de taille ou bien les cycles lunaires. Un peu artiste aussi, peintre ou photographe, vidéaste, sculpteur ou écrivain, cela nous permet d’approcher l’espace d’un point de vue sensible, détourné ; et puis aussi, ingénieur, botaniste, géographe, économiste, urbaniste, géologue … Combien de fois n’a-t-on pas vu, à l’énoncé du mot paysagiste, une lueur de sympathie en même temps qu’une mine interrogative sur le visage de notre interlocuteur ?

Il est vrai qu’il n’est pas toujours simple d’expliquer ce métier. Du moins, le simple fait de prononcer son nom ne suffit pas à donner sa définition, comme c’est le cas pour la plupart des professions. C’est peut-être le propre de ces métiers composites, réunissant un certain nombre de compétences, tentant une synthèse. Capable de s’approprier le vocabulaire d’un géologue, d’un concepteur-lumière, d’un sociologue, d’un botaniste, d’un ingénieur hydraulique, sans être spécialiste dans ces domaines ; mais capitalisant ces connaissances au service du projet. Un joyeux fourre-tout où nous-mêmes avons parfois du mal à se retrouver. Mais je crois que c’est ce qu’aime la plupart d’entre nous. En tout cas, c’est aussi ce que j’aime dans ce métier … Un métier de spécialistes généralistes, et inversement.

Première difficulté franchie, la personne en face de moi semble comprendre un peu mieux cette profession, ou au pire fait semblant de comprendre par politesse. Il reste maintenant à expliquer ce qu’est un CAUE et surtout ce qu’on y fait, à quoi cela sert. Tout d’abord, développer le sigle, comme on déplierait un papier plié en quatre : Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement. “Association reconnue d’utilité publique, ayant pour objectif la promotion de la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement. Les CAUE sont créés à l’initiative des Conseils Généraux.” La définition officielle peine à convaincre. Qu’est-ce que cette chose, dont les premiers rejetons ont vu le jour à la fin des années soixante-dix, et qui reste encore souvent inconnue du grand public ?

Le paysagiste, comme la plupart des concepteurs (urbanistes, architectes, etc.), peut intervenir à deux moments-clés du projet : avant ou après le lancement de l’appel d’offres. S’il intervient après, il devient le maître d’œuvre du projet, celui qui répondra à la demande, celui qui imaginera l’espace et celui qui conduira la réalisation. S’il intervient avant, il est donc, sinon le maître d’ouvrage, au moins un assistant à la maîtrise d’ouvrage. Un paysagiste de CAUE se situe dans la deuxième catégorie et même avant, dans la sensibilisation au projet.

Le travail du CAUE sera différent selon le département où il se situe. Dans un département fortement urbanisé, avec des agglomérations aux services techniques très structurés, la plupart des personnes concernées par l’aménagement de l’espace public ont une culture du projet, ont des références en tête, qu’elles soient bonnes ou mauvaises d’ailleurs. Le rôle du CAUE sera alors d’avantage dans la sensibilisation du grand public aux questions environnementales, à l’écologie urbaine, ou dans la pédagogie auprès des écoles et des collèges : éveiller les enfants à l’architecture ou la physiologie végétale.

En milieu rural, autour de pôles urbains peu importants disséminés sur le territoire, laissant la place à une foule de petites communes et de vastes espaces agricoles marqués par le bocage, la notion de projet n’est pas la même, souvent peu appropriée par les communes ; la question d’urbanité, également, comme celle de l’espace public, d’éclairage, de mobilier, de plantation. La ville et ses dessins demeurent des exemples. Certaines communes se sont essayées à transposer sur leurs territoires des modèles urbains, avec un certain nombre de déconvenues. Qu’est-ce qu’une ville à la campagne ? Que serait un urbanisme rural ? Ville et campagne sont-ils forcément en opposition ? Dans l’imaginaire collectif, la ville est citée comme la source d’inspiration, le lieu de tous les échanges, de toutes les idées novatrices ; aujourd’hui, n’est-il pas possible que la campagne, la forme de la ville rurale devienne elle aussi un modèle de développement ? De mon point de vue, c’est une des séries de questions que doit poser un CAUE à ses interlocuteurs. J’aime à penser être comme le poil-à-gratter, celui qui pose certaines questions, remet en cause certaines pratiques qui se sont installées depuis quelques années et qui ont permis des aménagements catastrophiques ou bien balayés des pratiques ancestrales qui relevaient tout simplement du bon sens, au nom de la modernité.

Il m’arrive souvent en rédigeant certains conseils aux communes d’illustrer mon propos de cartes postales anciennes. Mon but n’est pas de faire croire que c’était mieux avant, loin de là, mais de mettre seulement en parallèle l’image d’un espace public il y a un siècle, et ce même espace aujourd’hui. Je commente souvent peu ce travail, je préfère laisser au lecteur ce travail d’analyse, de confrontation, qu’il en tire lui-même ses conclusions. Ce qui me frappe souvent dans ces cartes postales, c’est la simplicité de traitement de l’espace public. On y prêtait sûrement peu d’attention, aucun plan n’avait été tracé, aucun schéma d’urbanisme ou d’extension de bourg, et pourtant un certain sens de l’esthétique, une certaine logique ont été portées par des générations d’habitants. Un autre regard aussi sur le végétal, sur l’arbre bien sûr, sur son port et sa taille, mais aussi sur le brin d’herbe, la mauvaise herbe, celle qu’on arrache ou qu’on “roundupise” désormais, préférant voir une plante morte, jaunie par le désherbant, à une herbe toute verte, et qui n’a jamais fait beaucoup de tort …

Je sens bien que je m’écarte un peu de mon sujet. Je ne suis pas sûr que tout ce que je raconte aide à comprendre ce qu’est un CAUE. Tout cela est peut-être un peu brouillon, mais c’est pourtant tout ce qui sous-tend ma pratique quotidienne. Ces questions sont d’autant plus prégnantes aujourd’hui qu’elles se posent dans un contexte départemental complexe. La réforme territoriale est en marche, les départements se restructurent, les pays, les communautés de communes reforment les rangs, se refondent, créent de nouvelles alliances. Certaines entités vont disparaître, d’autres vont apparaître. Les services de l’Etat sont affectés à d’autres fonctions, le CAUE, structure pouvant être parfois fragile, doit conforter sa place en tant qu’organisme de conseil, mais aussi comme principal promoteur de développement, de réflexion sur le territoire. Pour un certain nombre de territoires, marquer sa différence, se rendre attractif pour de nouveaux habitants, passera forcément par une attention portée sur ce qui nous entoure, prendre soin, tout simplement, de paysages qui nous sont proches, non pas dans une démarche passéiste, mais bien dans une progression, un développement de notre environnement comme socle économique, social et culturel. Pour un certain nombre de territoires en déserrance, il me semble que ce soit un champ des possibles, une piste sérieuse à explorer.

Bien sûr, je suis bien conscient que tout ceci peut rester facilement un vœu pieu. Pour l’instant, bon nombre d’élus sont encore peu réceptifs à ce genre de propos. Certains les comprennent, peu encore tentent de les mettre en application. Mais de plus en plus quand même …

Est-ce que tout cela aide à comprendre ce qu’est un paysagiste travaillant dans un CAUE ? Je n’en sais trop rien. On va dire que oui. Après tout, y a t-il une seule définition ? Beaucoup, je pense, trouveraient celle que j’ai tenté de donner, bien incomplète. Elle illustre en tout cas ma pratique quotidienne, essayant de huiler certains engrenages, de glisser un grain de sable dans d’autres, de faire vivre des idées.

Cordialement,

MB.

 

Pour référencer cet article :

Marin BAUDIN, Lettre de Marin Baudin, Openfield numéro 1, Janvier 2013