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Centre Essonne

La nécessité d'un projet collectif

Chaque année, 79 000 hectares de terres agricoles sont encore artificialisées. Il existe pourtant de nombreuses protections règlementaires sur lesquelles tout le monde s’accorde. Cependant, il ne suffit pas de geler les espaces agricoles, il faut les mettre en projet. La problématique abordée lors de mon année de diplôme à l’ENSP Versailles est donc celle du projet agricole et j’ai souhaité formuler celui-ci en faisant une place centrale à l’agriculteur. Acteur clé des territoires ruraux et péri-urbains avec lequel il me semble essentiel d’échanger. J’ai ainsi étudié la manière dont le paysagiste et l’agriculteur pouvaient travailler ensemble pour faire face aux enjeux agricoles.

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Avec ses 5 000 hectares de terres agricoles situées à moins de 40 km au Sud de Paris, le plateau Centre-Essonne est au cœur des planifications franciliennes. L’urbanisation menace ces dernières terres fertiles aux portes de la métropole notamment dans le cadre du projet de réhabilitation de la base aérienne de Brétigny. Sur les 750 ha de la base militaire aujourd’hui essentiellement constitués d’espaces ouverts, l’INRA perd l’exploitation de 300 ha de terres agricoles et seulement 75 ha sont préservés pour la mise en place d’un projet de lotissement de maraîchage biologique (d’un pôle d’agriculture biologique et de proximité, comprenant l’installation de maraîchers, d’arboriculteurs et d’éleveurs) le reste faisant probablement l’objet d’un projet d’urbanisation. Deux principaux acteurs du plateau, la Communauté d’Agglomération du Val d’Orge et la Communauté de communes du Val d‘Essonne évoquent la question agricole uniquement à travers ce projet d’agriculture biologique. Or, il ne concerne que 1,7% des terres agricoles du plateau. Il s’agit donc de s’interroger sur l’avenir des autres espaces agricoles du territoire et réfléchir à un projet sur l’ensemble du plateau.

OBSERVER ET COMPRENDRE

Mon projet de diplôme s’est appuyé sur deux éléments : l’utilisation de l’outil photographique et des rencontres avec les acteurs de ce territoire. Pour appréhender ces espaces ouverts j’ai expérimenté l’observatoire photographique. Il m’a permis de saisir les dynamiques de ces paysages : de juillet à décembre, j’ai pu observer la rotation des cultures, le travail des agriculteurs, la grande diversité de couleurs et de textures des paysages.

L’un des objectifs de l’observatoire photographique était de voir les paysages agricoles évoluer au fil de l’année. Avec l’aide de M.Isambert, agriculteur investi sur le territoire, j’ai pu mettre en parallèle ses actions et le paysage qui en résulte. ©Marion Bruère

 

En parallèle de cette démarche photographique, j’ai eu besoin de rencontrer les acteurs qui façonnent quotidiennement ce territoire: les agriculteurs. J’aime ce moment privilégié où ils m’expliquent à la fois leurs situations dans le territoire (situation familiale, propriété, fermage, rotation, choix de cultures, conviction) et le contexte dans lequel ils pratiquent leurs activités (évolution de l’agriculture, politique agricole commune, filières, politique urbaine). Ces rencontres sont pour moi essentielles afin que le projet étudié ne s’appuie pas sur des a priori et soit en adéquation avec la réalité notamment humaine du terrain. Un des enjeux du projet était d’avoir une vision d’ensemble. Pour cela j’ai analysé les différentes composantes du plateau (espaces urbains, agricoles et les vallées) et identifié les éléments qui faisaient l’unité de ce territoire. L’analyse des espaces ouverts a mis en valeur une grande diversité de paysages, une richesse qu’il me parait importante à relever, préserver voire accentuer.

NOURRIR ET CO-CONSTRUIRE

L’une des premières choses importantes était de contextualiser le plateau agricole vis à vis de la métropole, de constater sa proximité avec Paris et les enjeux de ce territoire ainsi que de s’informer sur des projet de territoires agri-urbains semblables. ©Marion Bruère

 

Nos territoires sont confrontés à terme à des changements climatiques et au besoin de s’adapter à un pétrole plus rare. La question de la transition est donc importante à prendre en considération dès aujourd’hui et nous permet de réfléchir entre autre à la question alimentaire (mode de production, transports des aliments, filières…) mais aussi à notre manière de fabriquer la ville et nos territoires.

” L’aménagement du territoire devra se fonder sur la préservation prioritaire des biens vitaux”(1)

Désormais la fabrication des villes, comme le dit Pierre Rabhi, ne peut plus se faire sans penser à la préservation des biens vitaux. Les deux phénomènes que sont l’augmentation de la population mondiale et la réduction des espaces agricoles posent clairement la question de la sécurité alimentaire. C’est pourquoi les terres fertiles à proximité de la ville, aujourd’hui objet de convoitise immobilière, vont à l’avenir prendre une valeur inestimée. Il semble donc impératif de réfléchir au maintien de ces espaces dès maintenant ainsi qu’aux enjeux alimentaires.

Même si les élus et les habitants ont compris l’intérêt de protéger ces espaces, la mise en oeuvre progresse trop lentement au vu de l’urgence. Il n’est plus possible d’attendre et de voir ces terres agricoles s’urbaniser. L’une des causes du dysfonctionnement du système agro-alimentaire actuel et des modes de commercialisation provient du fait que les habitants ne font plus le lien entre leur alimentation et les terres agricoles.

Il s’agit de (re)construire ce lien. Lorsque les terres agricoles en péri-urbain permettront d’alimenter les urbains des alentours, ceux-ci défendront avec conviction les terres qui permettent la satisfaction de leurs besoins vitaux. La question alimentaire ne peut donc être dissociée de celle de la ville et le projet urbain du projet agricole. Il faut penser un projet à l’échelle du territoire qui intègre les espaces agricoles dans une vision d’avenir et leur assure une protection durable. Ce projet doit être l’occasion d’expérimenter de nouveaux paysages qui créer de nouvelles associations en s’appuyant sur le concept de multifonctionnalité de l’agriculture.

Comme le rappelle IUFN (2) : “S’intéresser à l’alimentation durable des régions urbaines revient à réinterroger deux phénomènes intiment liés : la dynamique de l’étalement urbain et la protection sur le long terme du foncier agricole ». Traiter de l’alimentation permet de penser le territoire dans son ensemble. Cette idée est également présente dans la définition de la ville-archipel (3). Développer un projet agro-alimentaire sur l’ensemble du territoire permettrait de les intégrer à une vision d’avenir et leur assureraient une protection durable.

Au delà de la question du projet, il semble nécessaire de s’interroger également sur la démarche de projet et notamment sur la nécessité d’une dimension collective. Un projet de cette ampleur a besoin de prendre en compte tous les acteurs : agriculteurs, habitants et élus. C’est l’un des constats de l’association Terres en villes après l’étude des programmes agriurbains en Ile de France (4): “La mise en place d’une véritable gouvernance locale impliquant l’ensemble des acteurs est un levier pour permettre de construire un projet commun.”

La première difficulté est de mettre tous les points de vue en débat. Il faut créer un lieu où chacun est libre d’exprimer ses idées. Ensuite il faut que chacun puisse adopter une vision prospective : d’ici vingt ans, comment souhaitons-nous habiter, cultiver, nous nourrir ?

En fonction du régime alimentaire actuel et pour certains aliments, j’ai cherché à savoir combien de surfaces agricoles étaient nécessaires pour nourrir les 60 000 habitants du plateau. Cette approche par approximation m’a permis de me rendre compte des surfaces requises si on souhaite tendre vers une autonomie alimentaire. ©Marion Bruère

 

PROPOSER ET DEVELOPPER

Après avoir étudié le fonctionnement du territoire et compris les enjeux majeurs, j’ai réfléchi à des propositions spatiales sur la question de l’Habiter, de la frange urbaine et de la diversification. Le but était d’aboutir à des propositions de nature à ouvrir le débat avec les acteurs mais n’ayant pas nécessairement vocation à être réalisées telle quelles.

Le développement d’un réseau de cheminement qui permette de relier les deux coteaux des vallées de l’Orge et de l’Essonne interroge la notion d’habiter et du déplacement sur ce territoire en lien avec sa géographie. En passant par la frange de Brétigny, le projet d’agriculture biologique de la base aérienne et le village de Vert-le-Grand, ces chemins permettent de questionner l’accessibilité des espaces agricoles au public et le rapport de Vert-le-Grand à son ru. Sur la frange urbaine de Brétigny, l’activité agricole est conservée mais sous une nouvelle forme plus en lien avec la proximité de la ville et le projet d’agriculture biologique développé sur la base aérienne. Enfin, j’ai abordé la question de la diversification agricole et sa conséquence sur les paysages à travers deux exemples. Le premier est celui de la diversification en lien avec la géographie. Aujourd’hui certains vallons et pentes sont cultivés de la même manière que le plateau. Cependant il me semble intéressant de développer des pratiques agricoles qui révèlent la morphologie du territoire avec notamment le pâturage des fonds de vallée. Le deuxième point concerne une diversification de l’agriculture au vu des espaces ouverts dans la ville. On pourrait introduire l’élevage ovin sous une nouvelle forme en adéquation avec la situation péri-urbaine du territoire. Le troupeau pourrait pâturer les espaces agricoles en repos, les délaissés mais surtout les espaces publics en ville. En plus de la diminution des coûts de gestion, le berger urbain permet de faire le lien social entre ville et espaces agricoles.

Au-delà des enjeux généraux et de ces propositions, il s’agit de réfléchir à un projet de société, comme le dit Régis Ambroise (5), le territoire est le reflet d’une société. Aujourd’hui, un tel projet passe nécessairement par la concertation des acteurs du territoire qui sont les premiers concernés. Celle-ci doit permettre à la fois de comprendre leurs besoins mais aussi de co-construire le projet de territoire.

Il me semble que le paysagiste a un rôle à jouer dans cette démarche, comme personne charnière entre le territoire, le projet de société et les acteurs locaux, notamment grâce à sa formation qui se veut transversale. Le paysagiste joue finalement le rôle de médiateur.

Au cours de ce projet, j’ai compris non seulement que le paysagiste avait sa place mais également qu’il y avait une demande sociale de ce type de projet. Les agriculteurs m’ont très bien accueillie et les acteurs institutionnels sont très intéressés pour que l’on poursuive ce travail. Le plus difficile est de toucher les habitants et c’est le point qu’il semble désormais important d’approfondir. Aujourd’hui, je poursuis ces réflexions sur les territoires agri-urbains dans le cadre de l’association Terre et Cité sur le plateau de Saclay.

La frange Est de Brétigny : de nouvelles pratiques agricoles qui permettent de renouer des liens entre agriculteurs et habitants. ©Marion Bruère

 

 

 

Note / Bibliographie :

(1) RABHI Pierre, Manifeste pour la terre et l’humanisme, Arles : édition Actes Sud, 2008, 139 p.
(2) .” NOURRIR NOS VILLES, Pour une gouvernance alimentaire durable des régions urbaines, AdCF – Etd -IUFN- Terres en villes
(3) Définition de la ville-archipel: «La ville archipel; c’est reconnaitre qu’il n’y plus de dichotomie entre l’urbain et le rural, que la campagne n’est pas un vide mais un autre plein, que l’agriculture périurbaine ne concerne pas seulement le monde agricole mais aussi les urbains et qu’il faut discuter des différentes formes de l’agriculture.» Jean-Yves Chapuis, Rennes, la ville archipel entretiens avec Jean Viard (2013) Bibliothèque des territoires, L’aube
(4) TERRES EN VILLES, Les politiques agricoles péri-urbaines en Ile de France état des lieux et analyses de leurs évolutions, 2010
(5) Régis Ambroise est ingénieur agronome et urbaniste à la retraite, chargé des relations entre agriculture, paysage et développement durable dans ses fonctions successives aux Ministères de l’Equipement, de l’Environnement puis de l’Agriculture.

Pour référencer cet article :

Marion BRUERE, Centre Essonne, Openfield numéro 3, Janvier 2014